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accorder quelque répit. Le succès qu’obtenaient ses poèmes à Édimbourg l’empêcha de partir. La poésie, qui doit tant à l’amour, voulut cette fois payer sa dette, — une fois n’est pas coutume, — et s’étant présenté de nouveau avec plus de réputation que d’argent, et quelques protections assez froides, près des impitoyables parens de sa chère Jeanne, Robert parvint à les attendrir, et obtint d’eux la permission d’épouser la mère de ses enfans, et de réparer le tort qu’il avait fait à l’honneur de leur fille.

Mais tout est malheur aux malheureux. Le mariage et la paternité, ces liens qui attachent les hommes à la vie, sont pour le pauvre autant de fardeaux sous lesquels il succombe. Dans des yeux adorés, il voit se multiplier l’image de sa propre misère, et à chaque coup dont le frappe l’adversité, le sang jaillit de plus d’une blessure.

Ces réflexions, Burns dut les faire souvent dans l’amertume de son cœur, lorsque le sommeil fuyait ses membres fatigués, et qu’il roulait dans sa tête mille projets avortés de fortune, qui se dissipaient comme des brouillards au soleil de la réalité. Pauvre poète, c’est en vain que ta muse, à demi vêtue du tartan national, et couronnée de noisettes et de feuilles de houx, t’apparaît comme une fée bienfaisante qui doit, d’un coup de sa baguette, métamorphoser ta chaumière en palais ; tu mourras fermier comme tu as vécu, arrosant de sueurs une terre avare qui ne fournit pas aux besoins de ta famille, honorant une patrie ingrate qui te laissera expirer à trente-huit ans d’épuisement et de misère ! Tu auras des lecteurs, d’oisifs visiteurs qui t’habitueront à quitter le coin de ton feu pour les joies bruyantes de la taverne, des seigneurs qui t’auront comme une curiosité à leur table, et qui se croiront des Mécènes pour t’avoir fait nommer jaugeur à cinquante livres sterling d’appointemens.

Jaugeur ! ne voilà-t-il pas un judicieux emploi de tes facultés et de leur crédit ? Il s’agit d’assurer l’existence d’un grand poète : que vont-ils faire ? Lui procurer une place analogue à ses goûts, ou le mettre à même, par une pension, de se donner tout entier à la poésie ? Non pas, ils en feront un douanier ! Ce temps précieux qui pourrait accroître les trésors poétiques de l’Écosse, il faudra qu’il le perde à courir par toutes les saisons à la poursuite des contrebandiers !

Représentez-vous un étranger, grand admirateur de Burns, qui