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On voit où conduit l’abus des formules. Combien de choses Mlle Élise Moreau n’aime là que parce qu’elles sont aimées en vers de temps immémorial ! Combien de poètes, avant elle, avaient inhumainement aimé déjà la tempête depuis le Suave mari magno de Lucrèce !

Heureusement Mlle Élise Moreau ne s’enferme pas toujours dans la tradition, le commun et le convenu. Quelques rares morceaux de son recueil ont une grâce délicate et suave qui semble bien lui être propre : elle s’y montre la jeune fille, venue des champs, simple et vraie. Il y a un grand charme de tristesse consolante dans les deux strophes qui suivent :

Vous avez bien souffert, vous avez bien pleuré ;
Les ailes du bonheur n’ont jamais effleuré
Votre front pâle, ô pauvre femme !
Mais espérez ! le ciel calmera vos douleurs !
Au jardin de la vie il est encor des fleurs
Qui seront douces à votre ame.

Espérez ! quand l’été loin de nous a volé,
Le disque du soleil n’est pas toujours voilé ;
L’automne a des soirs qu’on adore ;
Les roses de novembre ont des parfums bien frais ;
Et quand le givre pend aux dômes des forêts,
Oh ! la nature est belle encore !

Mlle Élise Moreau s’épouvante parfois de périls imaginaires. Elle a tort, elle est injuste quand elle redoute pour ses vers le poison de l’envie et le venin de la critique. Non, l’envie n’est point l’ennemi que doit craindre l’auteur des Rêves d’une jeune Fille. La critique ne lui réserve pas non plus de traits empoisonnés. Elle ne le querellera pas sur ses hélas, ni sur sa ponctuation, comme il en a peur. Au contraire, elle lui tendra la main ; elle lui donnera tout ce qu’elle peut donner, des encouragemens et des conseils.

Mais Mlle Élise Moreau a pressenti des dangers plus sérieux et plus réels. Il y a dans son volume une pièce qui, bien qu’assez médiocre d’exécution, vous serre profondément le cœur. Le souvenir d’Élisa Mercœur amène un rapprochement qui inquiète et attriste. Mlle Élise Moreau raconte comment elle a quitté son village natal. Elle arrive à Paris, et le premier objet qui vient frapper sa vue, c’est le tombeau d’Élisa. Alors elle s’en prend aux grands et aux riches du temps. « Élisa, s’écrie-t-elle, ils t’ont laissé mourir de misère :

Ils t’ont vue expirer, puis ils ont ri de toi !

Ce dernier trait est forcé. On n’a point ri de la mort d’Élisa Mercœur, mais on l’a laissé mourir, et l’on n’a pas plus remarqué sa mort que sa vie. Ce n’était pas que le talent lui manquât ; mais son talent n’était pas assez