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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/652

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REVUE DES DEUX MONDES.

tout, avait cru faire un coup de politique consommée, en favorisant la création d’une nouvelle presse, comme on dit, qui pût se servir de toutes les armes de la plus violente opposition, d’une polémique dure, violente, personnelle, ivre souvent jusqu’à l’injure, comme si un gouvernement gagnait en force ce qu’il perd en prudence et en dignité. L’essai a réussi ; M. Guizot a eu ses hommes tout prêts à descendre dans la rue et à faire le coup de poing politique ; mais il avait oublié que les corps francs et les fédérés ne sont pas disciplinables, à quelque parti qu’ils appartiennent, et aujourd’hui ils se sont élancés avec tant d’ardeur, qu’ils ont laissé le général en arrière, et qu’ils n’entendent plus ses cris qui les rappellent. Heureux M. Guizot si on ne l’accuse pas d’avoir ordonné tout le ravage qu’ils font !

M. Thiers semble frappé de ce spectacle que lui offre M. Guizot, et tandis que l’anarchie montait à l’assaut du ministère où siège M. Guizot, M. Thiers, usant avec modération de ses connaissances spéciales et de ses belles études, défendait la centralisation financière, c’est-à-dire la force réelle du pouvoir contre le ministère qui oubliait ce principe dans la loi sur les caisses d’épargne. Il s’opposait à la création d’une commission chargée de diriger la caisse des dépôts et consignations sans le concours du ministre des finances, et indépendante de lui, ralliant ainsi à lui M. Roy, M. Humann et tous les hommes qui font autorité dans cette matière. Tant d’esprit, uni à tant de sens, est bien fait pour laver M. Thiers de l’épithète de révolutionnaire, prise dans sa plus mauvaise acception, que lui jettent ses adversaires, et qu’il mérite aussi peu que M. Guizot mérite les accusations qu’il s’attire par sa déférence pour des amis dangereux.

C’est dans cet état si compliqué des partis que vont s’ouvrir les plus grandes discussions. Nous ne doutons plus que le ministère n’ait sa majorité toute prête pour les lois qui sont encore à voter ; mais le zèle ardent, trop ardent peut-être, de la chambre des députés, pourrait lui causer quelque embarras dans la chambre des pairs. On dit que la loi de la garde nationale, présentée à la chambre par complaisance pour M. Jacqueminot, et que la chambre a votée par complaisance pour le ministère qui ne s’en soucie guère et qui en voit peut-être tout le danger, sera sévèrement amendée par la chambre des pairs. Il ne s’agit pas de moins, en effet, que de faire entrer dans la garde nationale de Paris, de couvrir d’un uniforme et de munir d’un fusil quinze mille hommes, pour la plupart très opposés à cette institution et à toutes les institutions qui nous régissent. On a calculé que sur ces quinze mille hommes, il se trouverait environ cinq mille carlistes et huit mille républicains. Nous ne voudrions offenser personne, mais il ne serait pas impossible que des Meunier et des Champion se glissassent dans ces rangs, et la machine infernale de Fieschi serait toute trouvée dans un peloton de gardes nationaux composé d’après le principe de coercition consacré par la nouvelle loi. Et ces dangers, il faudrait les faire courir à l’état et au roi pour complaire au goût particulier de M. Jacqueminot, de M. Delessert et de quelques autres qui aiment à s’entourer d’épaulettes et de bonnets à poils ! Jamais meilleure occasion de rendre à l’état et à l’ordre public un de ces services éclairés qu’on a droit d’attendre de sa vieille expérience, ne s’offrit à la chambre des pairs.


F. Buloz.