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DE LA DÉMOCRATIE ET DE LA BOURGEOISIE.

ment et l’ancienne aristocratie s’affaiblira sans doute dans ce sens que les fils seront étrangers aux répugnances de leurs pères. Mais tenons pour certain que les existences de loisir, chaque jour plus restreintes et plus rares, se garderont d’engager dans la vie publique une indépendance qui contrastera d’une manière trop marquée avec la situation générale pour être un titre à la faveur publique. À cet égard, le gouvernement de la bourgeoisie en Europe ne peut manquer de subir les mêmes lois que celui de la démocratie en Amérique. Le salaire pour les fonctions municipales, reconnu par la vieille organisation bourgeoise des Pays-Bas, s’introduira nécessairement en France, là du moins où ces fonctions imposent des soins assidus et à bien dire exclusifs.

Je crains fort, car je redoute toujours la conséquence dernière d’un principe, que la théorie du salaire ne reçoive forcément une application plus grave encore. L’indemnité pour la représentation nationale en semble le corollaire rigoureux. Si l’opposition, au lieu de remuer le vieux terrain révolutionnaire où les idées ne germent plus, avait pénétré plus avant dans les mœurs contemporaines, elle aurait compris la puissance de cette donnée plus facile à faire accepter au pays que tant d’autres si vainement émises par elle, et d’une portée bien autrement sérieuse.

On vient de dire que, relativement aux fonctions publiques, la France était placée sur une pente analogue à celle des États-Unis : ajoutons pourtant qu’avec le principe électif, base désormais consacrée de nos institutions politiques et administratives, semble devoir se combiner de plus en plus un autre principe destiné à devenir en même temps son complément et son contrepoids. Je veux parler du concours ou de l’épreuve scientifique. Cette épreuve est déjà l’initiation obligée à beaucoup de carrières, et cette initiation tend à se généraliser graduellement. Ce principe n’a rien d’américain ; il appartient essentiellement à l’Europe et au gouvernement de la bourgeoisie : c’est le droit de l’intelligence légalement reconnu, c’est la concurrence introduite dans le domaine de la pensée. Peut-être l’avenir verra-t-il l’épreuve scientifique imposée comme condition d’éligibilité aux divers degrés de la hiérarchie, soit politique, soit administrative. Alors la souveraineté nationale trouverait toujours une limite hors d’elle-même, et le droit constitutionnel de l’Europe serait fondé en regard de celui de l’Amérique.