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Si les détails que donne le P. Du Jarric sur les grands singes africains n’ont rien de contraire à la vraisemblance, il n’en est pas de même de ceux dont j’ai maintenant à parler, quoiqu’ils nous aient été transmis par un écrivain, d’une grande sagacité et qui n’a jamais passé pour crédule. Cet écrivain, c’est le philosophe Gassendi. Le passage dont il s’agit ici se trouve dans sa Vie de Peiresc ; il a été souvent cité, mais toujours d’une manière inexacte, et je crois devoir le traduire ici littéralement.

« Vers la fin de l’année 1633, Peiresc, dit notre auteur, reçut la visite du célèbre poète Saint-Amant[1], qui revenait alors de Rome avec le duc de Créqui. Il le garda plusieurs jours dans sa maison, prenant grand plaisir à s’entretenir avec lui, à lui faire dire ses vers, mais surtout à le faire parler des choses singulières que lui et son frère avaient eu occasion d’observer durant leurs voyages dans les Indes et autres pays lointains. Saint-Amant un jour racontant, entre autres choses, qu’il avait vu à Java de grands animaux qui tenaient le milieu entre l’homme et le singe (quæ forent naturæ homines inter et simias intermediæ), comme plusieurs des personnes présentes semblaient douter de l’exactitude de cette assertion, Peiresc cita les renseignemens qu’il avait obtenus de différens pays, et principalement de l’Afrique. Ainsi, un médecin nommé Noël lui écrivait qu’en Guinée on trouvait des singes plus intelligens que les autres, et auxquels une démarche lente et mesurée, une barbe épaisse et blanche achevaient de donner un air respectable. Noël ajoutait que les plus grands de ces singes, nommés baris, paraissaient surtout doués de jugement, au point qu’il suffisait d’une seule leçon pour leur enseigner une foule de choses ; par exemple, dès qu’on leur avait donné des vêtemens, ils ne marchaient plus

  1. C’est celui dont Boileau a dit :

    « Saint-Amant n’eut du ciel que sa veine en partage ;
    L’habit qu’il eut sur lui fut son seul héritage. »

    Il avait voyagé dans les quatre parties du monde, et visité presque toutes les cours de l’Europe. La reine de Suède, Christine, en faisait grand cas, et le public, pendant assez long-temps, accueillit très favorablement ses ouvrages. Enfin, la mode changea, et le roi ne voulut pas entendre jusqu’au bout un ouvrage que Saint-Amant avait écrit à sa louange. Le poète était déjà vieux, et le chagrin qu’il conçut de cet échec, joint à celui que lui causa la mort d’un ami qui depuis quelque temps pourvoyait à ses besoins, contribua, dit-on, à hâter sa fin. Ce ne fut guère que dans les derniers mois de sa vie qu’il éprouva cette misère dont Boileau semble lui faire un reproche. Il avait été un des premiers membres de l’Académie française, et il y fut remplacé par l’abbé Cassaigne, que Boileau traita tout aussi mal.