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MADAME DE PONTIVY.

y songeât, une existence à la mode, et que Mme de Noyon, d’abord indifférente ou contrariée, s’accommodait déjà mieux, dans sa vanité de tante, d’une nièce à réputation d’Alceste. On était donc à s’étendre assez complaisamment à l’article des sollicitations de Mme de Pontivy, quand Mme de Tencin, qui venait de la complimenter sur son redoublement de beauté, ajouta tout d’un coup, comme saisie d’une inspiration lumineuse : « Mais que ne voit-elle M. le Régent ? c’est M. le Régent qu’il faut voir.» Un sourire rapide et équivoque passa sur quelques visages de femmes, mais presque toutes s’accordèrent à répéter : « C’est M. le Régent qu’il faut que vous voyez ! » Mme de Noyon, que frappait une nouvelle perspective, entrait dans cet avis avec une facilité et une satisfaction qui ne semblait en peine d’aucune conséquence ; et Mme de Pontivy elle-même, dans la franchise de son ame, ouvrait la bouche pour dire : « Eh bien ! oui, je verrai, s’il le faut, M. le Régent, » quand M. de Murçay, qui jusque-là avait gardé le silence, s’avançant brusquement vers Mme de Pontivy, dont le bilboquet (c’était alors la fureur) venait fort à propos de tomber à terre, lui dit assez bas en le lui remettant et en lui serrant la main avec signification : « Gardez-vous en bien ! » Mme de Pontivy, qui allait consentir, rougit subitement, et, sans trop savoir pourquoi, répondit avec bonheur : « Il serait peu convenable, j’imagine, de voir moi-même M. le Régent ; » et l’avis de Mme de Tencin, qui allait passer tout d’une voix, se retira et tomba de lui-même comme indifféremment.

Mais, à son geste, à son bond impétueux de cœur, M. de Murçay avait senti qu’il aimait.

Mme de Pontivy avait senti aussi s’agiter en elle quelque chose d’inconnu ; et quand elle fut seule et qu’elle en chercha le nom, et que celui d’amour vint à sa pensée, elle s’effraya et se jeta à genoux dans son oratoire en cachant sa face dans ses mains ; et le lendemain, dans la matinée, comme sans se rendre compte, elle embrassait plus fréquemment sa fille, l’enfant réveilla son effroi en lui disant : « Pourquoi est-ce que vous m’aimez encore plus aujourd’hui ? »

Elle se rassurait pourtant en pensant que toutes les démarches et toutes les conversations de ces derniers jours avaient eu pour but M. de Pontivy, son rappel, ou du moins la conservation des