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en coupables dépenses par les prévenus. À Brest, les forçats travaillent jusqu’à midi ; ils boivent et se reposent jusqu’au soir, en jouant aux cartes. Les cantines, les pistoles, le denier de poche, le pécule, sont devenus des sources d’abus révoltans. Par suite de ces abus, une singulière inégalité s’est introduite dans la répression. L’absence du travail dans les maisons d’arrêt et de justice, prisons plus mal entretenues que toutes les autres, et destinées principalement aux accusés et aux prévenus, fait que ces derniers, privés du pécule et du denier de poche, sont plus à plaindre, quand ils sont pauvres, que les condamnés des maisons centrales, qui dépensent une partie de ce qu’ils gagnent ; et ceux-ci, à leur tour, sont moins favorisés que les forçats des bagnes qui travaillent en plein air, et qui trouvent dans leur existence plus de mouvement. Ainsi, plus on avance dans le crime, plus notre régime pénitentiaire s’adoucit. Il n’est pas besoin de dire que l’influence de la religion n’est comptée pour rien dans ces repaires affreux ; et l’enseignement intellectuel n’y pénètre pas plus que l’instruction morale,

Le seul remède est un changement complet, absolu, qui attaque le mal à sa racine, et qui le suive jusque dans ses derniers développemens.

On a demandé quels étaient les moyens d’arrêter la démoralisation de ces classes abjectes qui forment la lie des grandes villes, et que la corruption et la détresse tiennent toujours prêtes pour seconder tout attentat contre l’ordre social. Il faut s’occuper de résoudre cette question, la première de toutes. La misère dépravée est la source la plus féconde du crime ; il faut chercher les moyens de la tarir.

Dans ce but, une des premières réformes à introduire, c’est celle des maisons de correction, destinées à réprimer les égaremens d’une jeunesse vicieuse, et à la remettre dans le droit chemin. Ces maisons ne sont aujourd’hui que des écoles de crime. Quiconque en franchit le seuil est perdu pour la société. Les juges craignent d’y envoyer les enfans coupables ; et les parens n’osent user de ce moyen, qui est dans leur droit, pour purifier leur famille des membres qui la corrompent. La dépravation, si grande qu’elle soit, est toujours moins forte au dehors de ces prisons qu’au dedans. Les États-Unis offrent à cet égard l’exemple admirable de leurs maisons de refuge. Quelques hommes vertueux ont déjà mis chez nous, pour leur propre compte, cet exemple en pratique : c’est au gouvernement de développer leur œuvre, et de l’organiser sur tous les points.

La translation des détenus a déjà éveillé le zèle de l’administration. Le service des chaînes est supprimé. La France ne verra plus ces expositions lentes, qui outrageaient la pudeur publique par le cynisme le plus révoltant. Le ministre de l’intérieur, M. de Montalivet, dont le nom se rattache à tant de réformes utiles dans l’administration, a adopté pour le transport des forçats le système cellulaire. Il est à désirer que ce système s’applique à toutes les autres catégories de détenus.

Il est important aussi de fixer le sort des prévenus et des accusés dans les prisons. Nous l’avons dit, les maisons qui les renferment sont celles où les abus sont le plus à déplorer. Tout le monde comprendra que l’isolement absolu doit être adopté pour les prévenus et pour les accusés sans restriction. Des conseils-généraux ont prétendu que cet isolement serait une peine qu’on n’avait pas le droit de leur infliger. Cet isolement, loin d’être une peine, est une protection pour eux. Il défend leurs mœurs et leur innocence présumée contre toute communication corruptrice. Du reste, leur cellule ne peut être