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DU RADICALISME ÉVANGÉLIQUE.

rusalem céleste sur la terre, où les félicités matérielles les plus abondantes seraient prodiguées aux croyans : nous trouvons la preuve de ces espérances dans ce passage d’Irénée : « Il viendra un temps où naîtront des vignes dont chacune aura dix mille sarmens, qui auront chacun dix mille grosses branches, lesquelles en pousseront chacune dix mille petites, qui donneront chacune dix mille grappes, dont chacune aura dix mille grains, et lorsqu’un des saints saisira une de ces grappes, celle d’à côté s’écriera : Je suis une meilleure grappe ; prends-moi, bénis par moi le Seigneur. De même, chaque grain de froment produira dix mille épis, et chaque épi contiendra dix mille grains, et chaque grain dix livres d’excellente fleur de farine. Même abondance pour les autres fruits. Les animaux qui se nourriront de ces produits de la terre seront doux, et se soumettront aux hommes avec la plus grande docilité. Enfin, dans la nouvelle Jérusalem, on connaîtra tous les plaisirs des sens. » Ne croirait-on pas lire quelques-unes de ces descriptions luxuriantes dans lesquelles, de nos jours, Charles Fourier s’est complu à élever le bonheur et la puissance de l’homme à des proportions colossales ? Il y avait donc, dès les premiers temps du christianisme, et sous l’inspiration même d’une religion qui communiquait aux hommes une tristesse sainte et profonde, une soif ardente de bonheur, et des imaginations qui s’allumaient à l’espoir d’un paradis terrestre.

Ces trois développemens mystique, rationnel et sensuel, du christianisme, se reproduisirent quand les nations modernes eurent commencé d’exister. Le mysticisme, durant le moyen-âge, eut de grands docteurs. N’était-il pas naturel qu’à cette époque de l’histoire la foi se fût emparée des ames avec autorité ? D’ailleurs l’esprit se développait aussi dans le cercle même tracé par la croyance : il travaillait, il est vrai, à s’absorber lui-même dans la contemplation et dans l’extase, mais enfin ce dévot suicide était son propre ouvrage, et l’intuition immédiate de Dieu était préparée par l’activité philosophique. Voici le résultat le plus élémentaire du mysticisme au moyen-âge : quand l’intelligence, par ses propres efforts, a conduit l’ame au point qu’elle puisse être affectée directement par l’action divine, l’ame reçoit alors la vraie lumière, et conçoit tous les principes d’éternelle vérité et d’immuable certitude. Alors elle a dépassé le monde terrestre et humain ; elle n’en veut plus qu’à Dieu ; son désir de ne plus vivre que dans lui s’irrite par les progrès mêmes qu’elle fait dans la voie de perfection et le corps n’est plus pour elle qu’un obstacle qu’elle hait, et qu’elle sent dépérir tous les jours avec une joie secrète. C’est ainsi