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DU RADICALISME ÉVANGÉLIQUE.

liberté, quand ils s’écriaient que le royaume de Sion était proche, que tout ce qui était élevé sur la terre serait abaissé, et que tout ce qui était abaissé serait élevé, quand ils prêchaient la communauté des biens, la pluralité des femmes, et la monarchie universelle, sous l’autorité d’un seul homme, directement inspiré par Jésus-Christ, n’étaient-ils pas tourmentés des mêmes désirs de bonheur qui avaient traversé l’imagination de Papias et d’Irénée ? Ne cherchaient-ils pas à Munster cette Jérusalem céleste, ce bonheur matériel, que plusieurs, dans l’Asie mineure, avaient, dès les commencemens, substitué au spiritualisme chrétien ?

Ainsi, il est exact de dire qu’à la fin du xvie siècle, le christianisme avait parcouru une seconde fois le cercle des hérésies des premiers temps Quand il eut accompli cette répétition des mêmes mouvemens, il se divisa en deux grands partis, le protestantisme et le catholicisme, et il entra dans une ère de repos et de calme, où son influence changea de forme et d’application.

Le protestantisme, après avoir conquis par les luttes de la guerre de trente ans une situation légale, puissante et honorée, ne tarda pas, en Allemagne, à communiquer à l’esprit humain de la force et de la nouveauté. La science laïque et universitaire fleurit à l’ombre de son principe. Il fut dans le génie de la nation allemande d’appliquer aux spéculations désintéressées de la raison les fruits de sa victoire et du triomphe de la liberté chrétienne, pour parler la langue de Luther. Kant et Lessing., sortis de la réforme, firent accepter à leur pays la liberté absolue de la pensée. Seulement ils ne l’introduisirent pas dans le monde politique ; mais, avant de mourir, ils purent voir l’application sociale entamée par la révolution française.

Durant le règne de Louis XIV, le catholicisme en France retrouva de beaux jours, mais à la condition de plusieurs sacrifices et de changemens notables. Il fut associé au gouvernement, mais il ne fut plus le gouvernement même ; son chef et son arbitre ne fut plus le pape, mais un roi ; il ne trouva plus son promoteur et sa gloire dans un Grégoire VII, ou dans un Innocent III, mais seulement dans un éloquent évêque, soumis à l’autorité monarchique, et Bossuet fut contraint d’être gallican et royaliste, avant d’être catholique. Il faut remarquer aussi qu’à cette époque la puissance qu’exerça le catholicisme fut encore plus littéraire que morale, et que, même sous les splendides apparences que lui prêtait l’éclat des lettres, un mouvement sourd se préparait qui devait livrer le pouvoir à un autre esprit, à l’esprit philosophique.