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voit dans ses développemens futurs. Elle n’excommunie pas la civilisation avec son éclat et son luxe ; elle s’attache à en corriger les vices, mais elle en reconnaît avec orgueil les beautés et les grandeurs. Elle travaille à l’émancipation du peuple ; elle le convie à la conquête successive des droits politiques, mais par l’éducation, par la science, rendue accessible à tous ; elle ne prend pas parti d’une manière exclusive et passionnée pour les intérêts prolétaires contre les intérêts bourgeois, mais elle cherche, aux difficultés qui nous divisent et nous tourmentent, des solutions impartiales et vraies. Il faut donc tomber d’accord que l’esprit philosophique, s’appliquant aux affaires humaines, est plus social et moins révolutionnaire que le radicalisme évangélique.

Mais aussi la philosophie moderne réclame, pour l’activité même de l’intelligence, une carrière infinie. Elle estime que la pensée dans son essence est supérieure à toute lettre, à l’écriture, quelle qu’elle soit. Elle trouve qu’il n’est pas raisonnable d’affirmer, soit dans l’ordre politique, soit dans l’ordre religieux, que telle loi écrite est la dernière loi de l’humanité. Elle ne juge pas que la tradition chrétienne, si belle qu’elle paraisse, soit égale à l’universalité des choses. Mais considérant la religion comme une partie de la vérité générale acceptée par de grandes majorités, elle est pleine de respect pour elle, et aussi pleine de confiance dans l’éternel mouvement de l’esprit humain. Il est impossible à l’esprit philosophique de ne pas reconnaître, dans les travaux scientifiques et industriels qui s’accomplissent sur tous les points, un instrument de rénovation sociale et religieuse, et, par une conséquence naturelle, d’avoir sur l’avenir du monde des prévisions à la fois plus idéales et plus positives que celles indiquées dans le Livre du Peuple.

Voilà pourquoi il est juste d’affirmer que l’esprit philosophique est tout ensemble moins et plus révolutionnaire que le radicalisme évangélique, qui à la fois demande trop et pas assez.

Aujourd’hui l’Europe, dans l’ordre politique, nous montre les institutions dont l’origine remonte au moyen-âge envahies par l’esprit nouveau, qui entreprend, non pas de les renverser avec violence, mais de les transformer. Dans l’ordre religieux, le catholicisme s’attache à la conservation immobile du passé. Il ne serait pas équitable de méconnaître que, dans sa vieille majesté, il n’est pas sans charmes pour les imaginations et sans quelque douceur pour les ames ; mais enfin, il n’a plus l’initiative sociale. Le protestantisme n’y a jamais prétendu, concentrant toujours son ambition dans la critique des