Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
175
FRÉDÉRIC ET BERNERETTE.

manda si elle voulait venir dîner avec lui. Elle accepta et prit son bras, mais elle le pria de la mener chez un traiteur moins en évidence.

— Allons au cabaret, dit-elle gaiement ; je n’aime pas à dîner dans la rue.

Ils montèrent en fiacre, et comme autrefois, ils s’étaient donné mille baisers avant de se demander de leurs nouvelles.

Le tête-à-tête fut joyeux, et les tristes souvenirs en furent bannis. Bernerette se plaignit cependant que Frédéric ne fût pas venu la voir ; mais il se contenta de lui répondre qu’elle devait bien savoir pourquoi. Elle lut aussitôt dans les yeux de son amant, et comprit qu’il fallait se taire. Assis près d’un bon feu, comme au premier jour ils ne songèrent qu’à jouir en liberté de l’heureuse rencontre qu’ils devaient au hasard. Le vin de Champagne anima leur gaieté, et avec lui vinrent les tendres propos qu’inspire cette liqueur de poète, dédaignée par les délicats. Après dîner ils allèrent au spectacle. À onze heures, Frédéric demanda à Bernerette où il fallait la reconduire ; elle garda quelque temps le silence, à demi honteuse et à demi craintive ; puis, entourant de ses bras le cou du jeune homme, elle lui dit timidement à l’oreille :

— Chez toi.

Il témoigna quelque étonnement de la trouver libre :

— Eh ! quand je ne le serais pas, répondit-elle, ne crois-tu donc pas que je t’aime ? Mais je le suis, ajouta-t-elle aussitôt, voyant Frédéric hésiter ; la personne qui m’accompagnait tantôt t’a peut-être donné à penser ; l’as-tu regardée ?

— Non, je n’ai regardé que toi.

— C’est un excellent garçon ; il est marchand de nouveautés et assez riche ; il veut m’épouser.

— T’épouser, dis-tu ? Est-ce sérieux ?

— Très sérieux ; je ne l’ai pas trompé, il sait l’histoire entière de ma vie ; mais il est amoureux de moi. Il connaît ma mère et il a fait sa demande il y a un mois ; ma mère ne voulait rien dire sur mon compte ; elle a pensé me battre quand elle a appris que je lui avais tout déclaré ; il veut que je tienne son comptoir, ce serait une assez jolie place, car il gagne, par an, une quinzaine de mille francs ; malheureusement cela ne se peut pas.

— Pourquoi ? Y a-t-il quelque obstacle ?

— Je te dirai cela ; commençons par aller chez toi.

— Non ; parle-moi d’abord franchement.

— C’est que tu vas te moquer de moi. J’ai de l’estime et de l’amitié