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de modestie. Il ne se croyait pas en effet en état de remporter le prix, et il ne voulait cependant pas avoir la honte d’échouer. Mais ses amis s’efforcèrent de vaincre ses répugnances, et pendant plusieurs mois les plus intimes ne l’abordaient jamais sans lui dire : Thorvaldsen, songe au concours.

Quand le jour solennel fut venu, le pauvre Bertel traversa, avec de grands battemens de cœur, le vestibule de l’académie. Les élèves devaient d’abord se réunir dans une salle commune pour recevoir le programme du concours, puis après se retirer chacun dans une chambre à part, pour faire leur esquisse. C’était d’après ces esquisses que les professeurs jugeaient ceux qui devaient être admis à concourir, et c’était justement là ce qui effrayait Thorvaldsen. Quand il se vit seul dans sa cellule, en face de son programme, sa frayeur redoubla, il ouvrit la porte et s’enfuit par un escalier dérobé. Au moment où il exécutait ainsi sa retraite, il fut rencontré par un professeur qui lui reprocha si éloquemment son peu de courage, que Thorvaldsen, honteux, retourna à ses crayons. Le sujet du concours était un bas-relief représentant Héliodore chassé du temple. Le jeune artiste acheva en deux heures son esquisse, et gagna la seconde médaille d’or.

En 1793, il y eut un nouveau concours. Cette fois il s’y présenta avec plus de résolution et remporta le grand prix. À ce grand prix était attaché le titre de pensionnaire de Rome et une rente de 1200 fr. pendant trois ans. Mais les fonds n’étaient pas disponibles, et Thorvaldsen les attendit trois années. Il passa ce temps à continuer ses études, à donner des leçons de dessin, et il fit quelques travaux pour le palais du roi.

Enfin, en 1796, il reçut son stipende de voyage. Il se crut alors si riche, qu’il alla trouver un de ses amis, qui aspirait aussi à devenir artiste, et lui offrit de l’emmener à Rome et de partager avec lui sa pension. Mais son ami savait mieux que lui ce que valaient quatre cents écus, et il refusa. Thorvaldsen partit le 20 mai 1796, sur une frégate qui devait faire voile pour la Méditerranée.

Ce qui était triste alors, c’était de voir sa malheureuse mère qui pleurait et s’écriait qu’elle ne reverrait jamais son fils. En partant, il lui avait fait remettre par un ami une petite boîte pleine de ducats. Mais elle la garda, en disant qu’elle n’y toucherait pas ; car un jour son pauvre Bertel pourrait en avoir besoin. Elle gardait aussi avec une sorte de sentiment religieux un vieux gilet qu’il avait porté. Souvent on l’a vue presser ce gilet sur son cœur et le baigner de larmes, en invoquant le nom de son fils bien-aimé. Elle est morte, la bonne mère, sans connaître toute la gloire de celui qu’elle avait tant pleuré.

La frégate sur laquelle était Thorvaldsen fit un long voyage. Elle s’arrêta plusieurs mois dans la mer du Nord. Elle aborda à Malaga, à Alger, à Tripoli, à Malte. À la fin Thorvaldsen n’eut pas le courage de continuer plus longtemps cette expédition maritime. Il s’embarqua sur un bateau qui allait à Naples, et arriva à Rome le 8 mars 1797.