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DE LA CHEVALERIE.

âge et dans l’ouvrage qui résume la chevalerie tout entière sous une forme qui, pour être comique, n’en est pas moins complète et moins frappante, dans l’immortel roman de Cervantes ; admirable caricature, semblable à un de ces miroirs qui rendent ridicules, en les grossissant, les traits qu’ils réfléchissent, mais qui, par là même, en accusent d’autant mieux les contours.

Ce grand fait de la chevalerie ne s’est produit tout entier qu’une fois, en Europe et au moyen-âge ; mais est-il donc isolé dans l’histoire de l’humanité ? S’il n’y a pas eu dans d’autres temps et dans d’autres pays une chevalerie complètement organisée comme la nôtre, n’y a-t-il pas eu des instincts, des tendances, des velléités chevaleresques ? Je le pense, et je crois qu’il est important, avant d’entrer dans l’étude approfondie de la chevalerie moderne, de la rattacher à un ensemble de faits, non pas spéciaux, locaux, renfermés dans un siècle et dans une contrée, mais universels, et, pour ainsi dire, humains. Considérée de la sorte, la chevalerie se lie à l’histoire générale de la civilisation, dont elle est un moment important, décisif. Elle n’est plus un accident, mais un résultat. Je vais indiquer divers exemples, présenter divers échantillons, pour ainsi dire, de ce qui a été, au moins partiellement, au moins par certains côtés et sous certains aspects, la chevalerie hors du moyen-âge et de l’Europe moderne.

Dans l’état sauvage, l’homme est tout entier sous l’empire des besoins physiques et des instincts brutaux. La guerre, c’est la faim, et, après la faim, c’est la haine, c’est la vengeance. Tuer l’ennemi qui lui dispute la forêt nécessaire pour la chasse, tuer l’ennemi dont la tribu est en guerre avec sa tribu ; le tuer par tous les moyens, par le courage, s’il se peut, par la ruse, si le courage ne suffit pas, c’est là l’unique but du sauvage. Il déploie souvent, pour atteindre ce but, une grande énergie, un grand mépris de la mort. On sait jusqu’où va l’exaltation de ce mépris quand le prisonnier est attaché au poteau fatal ; mais, dans tout cela, il n’y a rien qui, de près ou de loin, ressemble à cette générosité qui consiste à protéger le faible, à combattre pour la beauté du combat, sans haïr son adversaire. La femme est chez les sauvages dans une condition misérable ; elle est une esclave et presque une bête de somme. Elle n’a donc nullement ce rôle inspirateur de la vaillance qu’elle aura dans la chevalerie. À peine entrevoit-on quelques lueurs de ces sentimens, que le sauvage ne connaît pas ; tout au plus, ces ames de brutes sont-elles surprises quelquefois, comme à leur insu, par un mouvement rapide et fugitif de pitié. Dans les confessions assez curieuses qu’a publiées un chef sauvage de