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DE LA CHEVALERIE.

Henri II. L’historien de ce temps n’est plus Froissart, mais Brantôme, et c’est en dire assez pour rappeler à l’imagination combien on est loin de l’idéal chevaleresque. À la fin du siècle, Henri IV, par sa valeur et par l’empire qu’eurent sur lui les dames, par cette carrière aventureuse vers laquelle il marche à la conquête de son royaume, un peu comme les chevaliers de romans allaient conquérir un trône à Babylone ou à Trébisonde, Henri IV tient, à quelques égards, du chevalier, et même du chevalier errant ; mais il est bien isolé, car je ne vois, autour de lui, que le sévère Sully, le froid Mornay, le fanatique et spirituel d’Aubigné ; et lui-même, à ses côtés chevaleresques, allie des qualités très différentes, une extrême habileté, une finesse gasconne, qui percent sous la bonhomie de ses manières. D’ailleurs la mobilité de ses sentimens, l’inélégance de ses habitudes, l’éloignent encore du type chevaleresque ; en somme, il tient du héros, du politique et du soudard, plus que du chevalier.

Au xviie siècle, la féodalité-parti qui venait d’être écrasée par Richelieu comme la féodalité-puissance l’avait été par Louis XI, voulut encore, avant de s’ensevelir sous les marches du trône de Louis XIV, produire sa chevalerie, et cette chevalerie posthume fut la fronde : les dames armèrent les combattans. Mais la fronde s’usa dans de petites ambitions et des aventures fort différentes des aventures chevaleresques. Son troubadour fut Scarron, et son épopée la Mazarinade. Cependant une portion des mœurs et des sentimens chevaleresques se conserva dans une société choisie, dans la société élégante et raffinée de l’hôtel Rambouillet, qu’on appela la société des précieuses. Là, les anciennes théories de l’amour et de l’honneur furent de nouveau subtilisées, l’on en dressa des traités et même des cartes géographiques, comme la carte de Tendre ; on put se croire retourné au temps des cours d’amour, et le terrible cardinal fit discuter devant lui des thèses de galanterie.

La première portion de la vie de Louis XIV est elle-même toute remplie de réminiscences chevaleresques, et le nom de carrousel est encore là pour nous rappeler cette dernière représentation d’un tournoi dans lequel on vit aux prises les principaux personnages de la chevalerie et les principaux héros de l’antiquité, en vertu de cette alliance entre les souvenirs de la poésie chevaleresque et ceux de la poésie classique, qui a été le caractère dominant de notre scène.

À mesure que le règne de Louis XIV se prolongea, les idées sérieuses et sombres remplacèrent de plus en plus ces réminiscences chevaleresques, et en effacèrent de plus en plus les traces. On alla de