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voir m’ouvrir complètement à sa mère au moment où elle recevrait ma confidence tout entière, car je prévoyais bien qu’Alezia ne lui cacherait aucun détail de ce petit roman, dont je n’avais pas le droit de me faire l’historien exact sans son ordre. Je craignais d’ailleurs que l’énergie de cette jeune fille effrayant la faiblesse de sa mère du tableau de sa passion, celle-ci ne vînt à lui donner un consentement que je ne voulais pas ratifier. L’une et l’autre avaient besoin du secours de ma volonté calme et inébranlable, et c’était peut-être lorsqu’elles seraient en présence l’une de l’autre que j’aurais besoin d’une force qui manquerait à toutes deux.

J’en étais là, lorsqu’on frappa à ma porte, et un homme s’approcha dans une attitude respectueuse. Comme il avait eu soin d’ôter sa livrée, je ne le reconnus pas d’abord pour le domestique qui m’avait tant regardé le jour de l’aventure de l’église ; mais comme nous avions maintenant le loisir de nous examiner l’un l’autre, nous jetâmes spontanément un cri de surprise. — C’est bien vous ! me dit-il ; je ne me trompais pas, vous êtes bien Nello ? — Mandola, mon vieil ami ! m’écriai-je, et je lui ouvris mes deux bras. Il hésita un instant, puis il s’y jeta avec effusion en pleurant de joie. — Je vous avais bien reconnu, mais j’ai voulu m’en assurer, et au premier moment dont je puis disposer, me voilà. Comment se fait-il qu’on vous appelle dans ce pays le seigneur Lélio ? à moins que vous ne soyez ce chanteur fameux dont on parlait tant à Naples, et que je n’ai jamais été voir, car, voyez-vous, je m’endors toujours au théâtre, et, quant à la musique, je n’ai jamais pu y rien comprendre… Aussi, la signora ne me force jamais de monter à sa loge avant la fin du spectacle. — La signora ! oh ! parle-moi de la signora ! mon vieux camarade. — Moi, je parlais de la signora Alezia, car pour la signora Bianca, elle ne va plus au théâtre. Elle a pris un confesseur piémontais, et elle est dans la plus haute dévotion depuis son second mariage. Pauvre bonne signora ! je crains bien que ce mari-là ne la dédommage pas de l’autre. Ah ! Nello, Nello, pourquoi n’as-tu pas… — Tais-toi, Mandola ; pas un mot là-dessus. Il est des souvenirs qui ne doivent pas plus revenir sur nos lèvres que les morts ne doivent revenir à la vie. Dis-moi seulement où est ta maîtresse en ce moment, et le moyen de lui faire parvenir une lettre en secret et sur-le-champ. — Est-ce que c’est quelque chose d’important pour vous ? — C’est quelque chose de plus important pour elle. — En ce cas, donnez-la-moi ; je prends la poste à franc étrier, et je vais la lui remettre à Bologne, où elle est maintenant. Ne le saviez-vous pas ? — Nullement. Oh ! tant mieux ! Tu