Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/352

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
348
REVUE DES DEUX MONDES.

poèmes, je ne sculpterais point de statues, je ne peindrais point de tableaux ; car je saurais trop que je ne puis faire aucune de ces choses, sans altérer le divin modèle vers lequel j’oserais à peine tourner mes yeux.

Malheur à celui qui, trompé par les artifices d’une parole cadencée, ou d’un tableau, ou d’une musique éclatante, croit posséder dans ce fantôme le Dieu immuable de ses pères ; je le préviens qu’il rencontrera, dans cet amusement, d’intolérables mécomptes.

En vain a-t-on prétendu, de nos jours, qu’une religion ne peut fournir de matière à l’art, si ce n’est dans les temps où cette religion exerce sur les esprits une autorité absolue ; je trouve cette maxime démentie aussi bien par la nature des choses que par l’expérience de l’histoire. Un peu plus haut, je me suis appuyé sur le témoignage des anciens. Chez les modernes, tous les arts ont éclaté en même temps que le protestantisme a fait divorce avec l’église. N’oubliez pas que Raphaël est contemporain de Luther.

J’ai supposé que votre foi n’avait souffert aucune atteinte ; et j’ai dit que, dans ce cas, l’art n’avait rien à vous enseigner Je suppose maintenant tout le contraire, c’est-à-dire que l’esprit du siècle a ébranlé en vous la confiance dans l’autorité du passé ; que le vide que l’on sent aujourd’hui en toutes choses s’est étendu jusqu’à vous ; et je dis que cette poésie, que je tenais tout à l’heure pour malfaisante, devient pour vous le premier pas vers la guérison et la croyance.

En effet, si la poésie transforme son objet, elle ne peut détruire qu’elle n’élève en même temps. Le même Euripide, qu’Aristophane accusait avec justice d’impiété au point de vue du dogme païen, nous semble aujourd’hui être un des devanciers du christianisme, et donne la main à l’auteur d’Athalie et d’Esther. L’homme, quoi qu’il fasse, est tellement imbu de l’esprit saint, qu’il n’a, en quelque sorte, qu’un seul moyen de s’en dépouiller ; et ce moyen est de déguiser son doute sous le masque de la foi. Au contraire, il est visible qu’il y a quelque chose de Dieu dans toute pensée sincère de l’homme. N’y a-t-il rien de religieux dans l’ame qui s’élance à la recherche de l’idole perdue ou inconnue ? Et celui qui fouille son cœur pour en connaître la misère, n’est-il pas plus près de la guérison que celui qui s’endort tranquillement dans l’illusion et la tiédeur ?

Si donc c’est être impie de penser que le christianisme du xixe siècle est différent du christianisme du xiie, alors, pour ma part, je mérite l’accusation dont mon obscurité ne m’a pas toujours défendu. Si, au contraire, c’est être religieux de reconnaître en chaque chose la pré-