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LES SOURCES DE ROYAT.

puis que l’école des Beaux-Arts est instituée, depuis qu’elle envoie à l’école de Rome des paysagistes lauréats, la France n’a pas encore trouvé parmi ces pensionnaires couronnés un seul homme digne de partager la gloire de Nicolas Poussin. Je sais bien que l’école ne s’engage pas à former des peintres de génie, et j’aurais mauvaise grace à demander pourquoi les lauréats n’arrivent pas tous à l’immortalité. Toutefois, il est permis de s’étonner que les élèves formés par l’étude du paysage historique n’arrivent pas même à savoir copier un chêne ou un platane, et se trouvent fort embarrassés quand ils veulent transcrire Meudon ou Saint-Cloud. Si le respect de Nicolas Poussin devait infailliblement conduire à ces tristes conséquences, assurément il faudrait proscrire ce maître illustre et le signaler aux paysagistes comme le plus déplorable des conseillers. Par bonheur, il n’en est rien. Nicolas Poussin est parfaitement étranger au paysage historique enseigné par les professeurs des Petits-Augustins. La seule vue de ses œuvres suffit pour démontrer aux plus ignorans que l’école des Beaux-Arts, en plaçant sous le patronage de cet admirable maître les traditions qu’elle enseigne, se méprend complètement, et qu’elle est seule responsable de son enseignement.

Pour discréditer ces leçons infécondes, une école rivale s’est fondée, vouée tout entière à l’imitation littérale de la réalité. Uniquement préoccupée de la monotonie du paysage historique, cette école croit que le seul moyen d’appeler l’attention sur le paysage est de copier fidèlement la nature. Au-delà de l’imitation, elle n’aperçoit que caprice, et déclare que le but suprême de la peinture est de reproduire le modèle placé sous ses yeux. Cette école a, de nos jours, obtenu des succès nombreux ; et loin de songer à nier ces succès, nous les enregistrons volontiers, mais en nous réservant le droit de les expliquer. De ce que le paysage exclusivement réel a été accueilli par de nombreux applaudissemens, faut-il conclure que la réalité est le but suprême du paysage ? Tel n’est pas notre avis. Le triomphe remporté par les paysages réels nous paraît une protestation du goût public contre la monotonie et la nullité du paysage historique ; mais nous sommes loin de voir dans ce triomphe un argument décisif en faveur de l’imitation pure. Il était facile de prévoir ce qui est arrivé ; il était facile, en présence des toiles inanimées que l’Académie des Beaux-Arts décore du nom de paysage, de prédire la réaction qui s’est opérée contre la tradition et en faveur de la réalité. Que la foule, en reconnaissant dans un paysage réel les arbres et les terrains qu’elle voit chaque jour, batte des mains et prenne l’imitation fidèle de la nature pour le dernier mot du paysage, c’est une chose toute simple, et qui ne doit pas nous étonner. La foule a raison d’applaudir et d’admirer les paysages réels, car il y a du moins dans ces paysages un élément d’intérêt, la réalité, tandis que les paysages historiques, tels que les conçoit l’école de Paris, n’intéressent et ne peuvent intéresser personne. Mais en déclarant que la réalité est le dernier mot du paysage, la foule se prononce sur une question qu’elle n’a pas étudiée ; elle résout un problème dont elle ne connaît pas même les