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dégénérer. En attendant, Rubini se retire ; et, si vous lui demandiez comment il se fait qu’il s’arrête ainsi dans toute la puissance de son talent, sans doute qu’il vous donnerait les mêmes raisons que l’auteur de Sémiramide et de Guillaume Tell. Quels biens la musique lui donnerait-elle désormais, dont il n’ait pas joui jusqu’à satiété ? de l’or ? il en a plus qu’il n’en souhaitait ; de la renommée ? on lui élève une statue à Bergame. Le prince des ténors partagera avec le duc de Wellington cette gloire de pouvoir saluer tous les matins et tous les soirs sa propre image debout sur un piédestal. Qu’on vienne ensuite nous parler d’idées révolutionnaires qui fermentent au cœur de l’Italie. L’Italie ! elle fond des couronnes d’or à la Ungher, et taille des statues de marbre à Rubini. La vierge en honneur sur cette terre frivole, la déesse dont le pied fait sortir du sol l’enthousiasme et les acclamations du peuple, ce n’est pas la Liberté, mais la Mélodie. L’Autriche peut dormir tranquille sur son lit de fleurs tant qu’il y aura dans les états vénitiens et milanais des chanteurs de cavatine à glorifier.

La question qui s’agite en ce moment au théâtre de la rue Lepelletier, est de savoir si Mlle Falcon chantera le premier rôle dans l’opéra de M. Halévy. Dernièrement, la voix de Mlle Falcon était dans un tel état d’altération, que la jeune cantatrice dut renoncer à sa partie ; Mme Stoltz, qui se trouvait là fort à propos pour empêcher le répertoire d’être suspendu, voulut bien se charger alors, avec une complaisance toute gracieuse, du travail des répétitions. Les choses se passèrent ainsi jusqu’au jour où M. Halévy changea d’humeur, et trouva bon de reprendre son rôle des mains de Mme Stoltz, pour le confier à Mme Dorus. À cette nouvelle, Mlle Falcon, qui se disposait à partir pour l’Italie, crut sentir sa belle voix de ses débuts, sa voix d’Alice, de donna Anna, de Valentine, lui revenir comme par miracle, et l’affiche annonça tout à coup sa rentrée, au moment où l’on s’y attendait le moins. Fâcheuse rentrée, où le public de l’Opéra accueillit sa jeune cantatrice avec une réserve, une froideur, une indifférence qui ressemblaient à de l’ingratitude. Certes, ce n’était plus, nous l’avouons, cette voix sonore, puissante, magnifique, pleine d’expression et d’éclat, mais encore aurait-on dû tenir compte à Mlle Falcon de l’émotion inséparable d’une rentrée à laquelle elle n’était peut-être guère plus préparée que le public, et surtout de cinq années d’incontestables succès. En attendant que cette voix eût recouvré, dans les cordes hautes, cette vibration cristalline, ce timbre d’or, qui l’aidaient si merveilleusement à s’élever au-dessus de toutes les autres, il eût été de bon goût de l’encourager par quelques applaudissemens donnés, sinon à l’heure présente, du moins aux services rendus dans le passé. Depuis cette rentrée, Mlle Falcon n’a plus chanté. On dit cependant qu’elle reparaîtra dans Cosme de Médicis. Il est à souhaiter que la jeune cantatrice trouve dans le repos et l’éloignement de la scène cet organe limpide, égal, harmonieux et sûr, qui lui a si cruellement fait défaut l’autre soir. En attendant, M. Halévy profite de ces retards, qui semblent se multiplier à plaisir, pour écrire sa musique ; car l’auteur de la Juive et de l’Éclair a pour habitude de se mettre à l’œuvre