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REVUE. — CHRONIQUE.

les variant, pour les rendre plus fructueuses ; il sera bon, après tant de recherches antérieures, de toujours diriger les nôtre sur les points les moins connus, ou les plus négligés de notre temps. Voilà pourquoi je compte, cette année, demander le sujet de nos leçons à la philosophie d’Aristote, source féconde où bien des siècles puisèrent avant nous, où notre siècle après eux ne dédaignera pas de puiser, quelque riche que soit son propre fonds.

Quels sont les motifs de la préférence que j’accorde cette année au péripatétisme ? Au milieu de quelles circonstances reparaît-il encore une fois ? De quelle utilité la rénovation de cette doctrine antique peut-elle être pour notre temps ? Telles sont, messieurs, les questions que je vais aujourd’hui examiner avec vous.

Il n’y a guère moins de trois cents ans que le grand nom d’Aristote n’a retenti sous ces voûtes ; on dirait que de lugubres souvenirs l’avaient exilé du Collége de France, on dirait que la mémoire sanglante de Ramus commandait ce pieux silence, qui, depuis la nuit de la Saint-Barthélemy, n’a point été rompu. C’est en effet dans cette chaire, accordée comme un refuge après bien des traverses, illustrée par d’utiles et audacieuses tentatives de réforme, que Ramus prépara sa gloire. C’est dans cette chaire, disputée contre les violences d’adversaires implacables, perdue malgré l’appui des plus grands personnages politiques de l’époque, puis de nouveau conquise, et enfin arrachée par la mort, qu’il prépara le triste dénouement de ses travaux. Dans un siècle où la philosophie put compter tant de victimes enlevées aux rangs des écoles les plus diverses, dans un siècle d’innovation ou l’innovation philosophique fut punie, comme toutes les autres, par le meurtre judiciaire et par l’assassinat, la mort de Ramus a excité plus de regrets qu’aucune autre. L’histoire et la postérité, à l’exemple de quelques amitiés infidèles, n’ont point eu assez de larmes pour la déplorer ; et nous-mêmes aujourd’hui, messieurs, ne sommes-nous pas saisis d’une bien douloureuse angoisse, en nous rappelant tant d’efforts et de courageuse indépendance, entravés pendant vingt années par des persécutions dont un roi, qui cependant fonda le Collége de France, eut le malheur de se faire l’instrument, et payés enfin par le martyre et les outrages des gémonies ? C’est que, parmi tous les défenseurs de l’esprit nouveau, dans le xvie siècle, Ramus, l’un des premiers, a compris et proclamé, au risque de son repos et de sa vie, ce besoin de liberté intellectuelle qui fait la gloire et le caractère des temps modernes ; c’est qu’à ce titre, du moins, si ce n’est à d’autres, il a été le véritable précurseur de Bacon et de Descartes. Avec un génie très inférieur sans doute, mais avec autant de foi et de courage, il a combattu pour cette grande cause de l’indépendance de l’esprit, qui n’a plus besoin de notre secours, depuis cinquante ans qu’elle est enfin victorieuse, mais qui dans les souvenirs de l’histoire reçoit encore nos sympathies les plus vives. C’est pour cette cause que Ramus a souffert ; c’est pour elle qu’il a péri.

Mais j’ai hâte de le dire, l’histoire, en flétrissant un forfait, n’en a point accusé la philosophie. Les témoignages contemporains sont partagés : il en