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REVUE. — CHRONIQUE.

les illusions de la reconnaissance peuvent désirer, tenter même, mais que la raison réprouve et que les faits condamnent. Pour ma part je n’en essaierai certainement pas une ; je connais trop l’esprit de mon siècle qui est aussi celui de tous les siècles antérieurs ; je connais trop les lois nécessaires du progrès qui a commencé avec le genre humain, et qui ne finira qu’avec lui ; je sens trop sincèrement les mérites réels du péripatétisme et les services qu’il peut encore nous rendre, pour aller le compromettre dans une tentative qui serait infructueuse pour lui comme pour nous. Mais si l’on ne refait le passé qu’avec la menace et sous les dangers d’une ruine imminente, on peut toujours l’étudier avec profit : son vaste enseignement a des leçons pour tous les âges, des lumières pour tous les esprits, des germes pour toutes les pensées et toutes les découvertes. Nous pouvons toujours lui emprunter les trésors de son expérience, les trésors des vérités qu’il a conquises, les trésors même des erreurs qui l’ont égaré et dont son exemple nous doit garantir à notre tour.

Tel est donc mon destin, il ne va pas au-delà d’une étude nouvelle et approfondie du péripatétisme. En réintégrant encore une fois cette étude dans une chaire publique, je crois rendre service à l’esprit de mon pays et de mon siècle, restituer parmi nous, à l’histoire de la philosophie, l’un de ses titres les plus illustres ; je crois exercer à la fois une grande justice envers une gloire obscurcie et méconnue, et un acte de reconnaissance pour l’un des génies qui ont été le plus utiles à l’humanité.

Ce n’est pas, au reste, vous le savez bien, ce n’est pas la première fois que, dans le cours des âges, le péripatétisme reprend un rôle quelque temps abdiqué, mais qu’il ne peut jamais perdre. Trois fois déjà, à trois grandes époques, il a soutenu l’esprit humain dans sa marche incertaine, il l’a guidé dans ses essais d’indépendance et de progrès ; et si notre siècle, dans sa virilité, n’a plus besoin d’appui comme ceux qui l’ont précédé, il a besoin encore de connaître un passé qui fut si grand, et dont moins que tout autre, il prétend contester la haute valeur. Rappelez-vous la décadence intellectuelle de l’antiquité ; rappelez-vous les premiers pas du moyen-âge, en Arabie et en Europe ; rappelez-vous aussi les puissantes innovations du xvie siècle dans les sciences et en philosophie ; songez à la domination que le péripatétisme a exercée dans ces trois périodes, et surtout dans la seconde ; et dites s’il est une doctrine qui mérite plus que celle-là notre attention et notre étude. Sans doute, elle n’a point été seule à servir en philosophie les développemens de l’intelligence humaine ; ce serait exagérer de beaucoup ses mérites, et les méconnaître en même temps, que de lui attribuer cette influence exclusive ; ce n’est pas moi qui nierai tout ce qu’a fait à côté d’elle, au-dessus d’elle, si vous voulez, la doctrine de Platon, à laquelle a tant emprunté le christianisme. Mais le platonisme n’a point pesé d’un poids égal dans les destinées de la science moderne. S’il a fourni d’impérissables élémens à la plus pure religion que jamais l’ame humaine ait conçue, il n’a point été, comme le péripatétisme, l’instituteur de l’esprit humain. Ce n’est pas lui qui l’a guidé dans cette pénible initiation de la science, qui devait peu à