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Je ne pense pas que mon admiration, toute sincère qu’elle est, me fasse illusion ; je ne pense pas davantage que les éloges que je rends au péripatétisme, puissent blesser en rien la susceptibilité de notre âge. Le xixe siècle sait trop bien comment s’est formé l’héritage scientifique dont il jouit et qu’il accroît à son tour, pour s’étonner que le grand homme dont les travaux y contribuèrent si largement, reçoive encore une fois parmi nous l’hommage qui lui est dû ; le xixe siècle sait trop bien tout ce que méritaient de respect et de pieuse étude les enthousiasmes passés du genre humain, pour s’étonner de l’enthousiasme qu’excite encore de nos jours l’un des plus grands génies auxquels le genre humain ait dû ses directions intellectuelles. C’est précisément parce que je me fie aux lumières et à l’impartialité de mon siècle, que je parle ici d’Aristote et de sa juste gloire, avec une sécurité qui peut-être n’eût pas toujours été prudente, avec une franchise qu’un autre siècle aurait eu sans doute de la peine à comprendre.

Mais si ma conviction était moins ferme, si quelque doute pouvait s’élever dans mon esprit sur les dispositions que le péripatétisme doit rencontrer parmi nous, un grand fait, dont nous sommes tous les témoins, serait là pour rassurer mon incertitude. N’avons-nous pas vu de quels applaudissemens notre siècle a salué la renaissance du platonisme, d’abord dans la publication d’un de ses commentateurs alexandrins, et ensuite dans la traduction des œuvres entières du disciple de Socrate ? Je reconnais bien hautement, et avec une joie toute philosophique, où l’amitié même n’a point de part, le tribut de style éclatant et d’éloquente sagacité qu’un jeune professeur, devenu depuis un maître illustre, mit au service du platonisme, il y a déjà plus de vingt ans. Je reconnais bien hautement tout ce que le talent du traducteur fit alors pour ranimer encore une fois l’éclat d’une gloire qui, comme celle d’Aristote, avait pâli depuis quelques siècles ; mais je crois aussi que l’esprit même du temps préparait ce brillant succès, qui est de plus un grand service rendu à la philosophie et que l’histoire n’oubliera pas. La direction de l’école nouvelle, spiritualiste comme elle l’était, devait nécessairement avoir pour premier résultat, dans l’étude du passé, la réhabilitation du fondateur même du spiritualisme. Le christianisme, tout grand qu’il est, n’avait pas pu se passer de Platon ; il lui avait emprunté quelques-unes de ses croyances essentielles. Qui pourrait s’étonner que la philosophie du xixe siècle, née elle-même d’une réaction plus chrétienne encore que catholique, ait puisé à son tour à cette source auguste, où les pères de l’église avaient puisé sans crainte ? Je comprends donc sans peine que le platonisme ait dû recevoir les premiers et fervens hommages de la philosophie contemporaine ; elle est revenue au platonisme par un sentiment de piété filiale dont aucune école spiritualiste n’a jamais manqué. Mais certainement l’école nouvelle se serait fait défaut à elle-même, elle aurait mutilé ses propres destinées aussi bien qu’elle aurait mutilé l’histoire, si de la doctrine de Platon elle n’avait procédé à celle d’Aristote. C’est qu’en effet Platon et Aristote, apparus tous deux à l’époque la plus brillante du génie grec,