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Turf Einard, qui le premier apprit aux habitans de Mainland à brûler la tourbe. Si vous leur demandez quel est ce roc isolé qui résiste victorieusement aux continuels assauts de la mer, et sur le haut duquel on voit les ruines d’un château : — C’est le Fraw Stack, le rocher de la vierge, vous répondent-ils ; et alors ils vous récitent une ballade qui doit être renouvelée des Grecs, car l’histoire qu’elle célèbre n’est autre que celle de Jupiter et de Danaë, baptisés à la norwégienne.

Cet écueil qu’on aperçoit à fleur d’eau dans les plus basses marées, à l’entrée du port de Lerwich, c’est le rocher de la Licorne ; le vaisseau de l’Écossais Kirkaldy s’y brisa en poursuivant la barque du fameux Bothwell, cet époux éphémère de Marie Stuart, qui fuyait par ce chemin périlleux, quand sa perte semblait assurée ; ce vaisseau s’appelait la Licorne, et il a donné son nom au rocher. Mais quelle est, non loin de cette même ville de Lerwich, cette petite tour à demi ruinée, pareille à un moulin à vent qui aurait perdu son toit et ses ailes ? C’est la Tour des Espagnols. Le laird de Quendale, dont elle avoisine la demeure, vous racontera qu’autrefois le duc de Medina-Sidonia, grand amiral de l’invincible Armada, poussé sur ces rivages écartés par la tempête qui détruisit la flotte espagnole, logea dans cette tour avec sa suite. Le vieux Malcolm Sinclair, qui avait couru le monde dans sa jeunesse, l’un des aïeux du laird actuel, était le propriétaire de cette tour. Il s’était résigné à exercer envers ces fugitifs, qui avaient l’insolence de commander en maîtres, une hospitalité forcée, mais il avait gardé avec eux son franc parler de montagnard. Un jour que le vieillard murmurait plus que de coutume, l’orgueilleux Espagnol crut lui fermer la bouche en lui demandant si jusqu’alors il avait vu un homme tel que lui. — Farcie on that face, s’écria Sinclair, I have seen many a prettier man hanging in the Borrow Moore. (Ah ! la drôle de face, s’écria Sinclair, j’ai vu plus d’une fois de plus jolis hommes que cela pendus dans le Borrow Moore.) On pense bien que l’Espagnol n’en demanda pas davantage.

Mainland, la principale île des Shetland, a la forme d’un dragon qui déploie ses ailes. Lerwich, la capitale du pays, est placée dans la tête du dragon comme son œil ; l’immense baie que protège l’île de Brassa, (Brassa sound ), et qui contiendrait aisément deux mille navires, semble la gueule du monstre ; le cap de Sumburgh forme sa narine recourbée, et le promontoire de Fitfull se dresse comme sa crête menaçante. Le cap de Sumburgh et le promontoire de Fitfull (Sumburgh-Head, Fitfull-Head) sont constamment exposés aux assauts des mers puissantes qui entourent les côtes des îles Shet-