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LES ÎLES SHETLAND.

serrer le cou du meurtrier, quand tout à coup parut sur la place, à la tête de son équipage, le commandant d’un navire écossais arrivé la veille de Leith, et qui portait des ordres du roi. Patrick, comte des Orcades et cousin du roi, ne devait pas périr de cette mort obscure. Justice serait faite ; justice solennelle, le messager du roi le promettait ; mais malgré sa promesse, ce ne fut qu’avec un farouche murmure de vengeance désappointée que le peuple lui remit sa proie.

Le roi cependant tint parole ; justice fut faite. Convaincu du crime de rébellion, d’abus de pouvoir et de forfaits sans nombre, Patrick, le comte des Orcades, fut exécuté à Édimbourg, en 1614. J’ai vu, dans le musée des antiquaires de cette ville, l’instrument de son supplice. On l’appelle the maiden (la vierge) ; le criminel que la maiden allait mettre à mort s’agenouillait sur un échafaud, le corps courbé en avant, la tête placée entre deux poutres, peintes en noir, au haut desquelles était suspendue une hache tranchante chargée d’un énorme lingot de plomb. Cette hache était retenue par une corde passée dans une poulie. Le bourreau lâchait la corde, la hache glissait le long d’une double charnière, entre les deux poutres, et séparait d’un seul coup la tête du tronc. On voit que la maiden n’était autre chose que la guillotine[1]. Le régent Morton, le dernier de ces terribles Douglas, l’orgueil et l’effroi de leur pays, avait fait venir d’Halifax, dans le comté d’York, à Édimbourg, la maiden. On s’en servait à Halifax de temps immémorial, et Morton, qui regardait la terreur comme le plus sûr des moyens de se maintenir au pouvoir, n’eut garde de négliger une aussi redoutable invention. Un coin de l’Écosse remuait-il, une de ses provinces avait-elle besoin d’être disciplinée, Morton y envoyait la maiden ; on abattait quelques têtes, et tout rentrait dans l’ordre. Si l’un de ces seigneurs si long-temps et si souvent rebelles murmurait, donnait de l’inquiétude, Morton le menaçait des caresses

  1. Le supplice de la guillotine nous vient donc des Écossais. Les Écossais l’avaient emprunté aux Anglais, et, dans le xvie siècle, il était populaire en Allemagne. J’ai entre les mains une gravure d’Aldegraver, élève d’Albert Durer, qui porte la date de 1553. Cette gravure représente Titus Manlius faisant décapiter son fils, qui a combattu sans son ordre. Le fils de Titus a la tête passée sous le couteau d’une guillotine fort bien dessinée. Comme dans toutes les gravures allemandes de cette école et de cette époque, on peut compter les veines du bois et chacun des clous de la machine ; la courbure du tranchant de la hache est aussi calculée avec une exactitude mathématique. Cette guillotine est plus massive que la maiden d’Édimbourg et que la guillotine française. Dans la gravure d’Aldegraver, le bourreau d’une main retient la tête du patient, placée entre les deux montans de la machine, et de l’autre décroche la corde au bout de laquelle pend la hache. Titus Manlius, la main sur la hanche et armé de pied en cap, comme un chevalier de la cour de Maximilien, regarde d’un œil stoïque le supplice de son fils.