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RÉPONSE À GEORGE SAND.

vous n’entendez que le prolétaire, et je maintiens ma proposition, parce que par le peuple j’entends la société même, soumise au principe de l’égalité.

Je me représente la démocratie française comme partagée en deux grandes parties, les classes moyennes et les classes ouvrières, et je dis que, dans la nature des choses, les deux parties ne sont pas hostiles l’une à l’autre. La faute a été grande de la part des républicains de déclarer la guerre à la bourgeoisie, cette moitié du peuple : dès-lors tout a été envenimé, tout a été dénaturé. Non, l’ouvrier n’est pas l’ennemi nécessaire du bourgeois, ni le pauvre du riche, ni l’ignorant du savant, et il est insensé d’ériger des inégalités que la science sociale doit travailler à aplanir, en un mur éternel que la force et le canon peuvent seuls faire tomber.

La bourgeoisie a des travers. Qui le nie ? On lui impute souvent, avec raison, la médiocrité de l’esprit et l’égoïsme du cœur : ces défauts sont réels, mais ils ne sont pas incurables, mais ils n’ont pas envahi la généralité des classes moyennes. Je ne crois pas avoir été infidèle à la réalité en disant qu’au sein de la bourgeoisie deux partis étaient en présence ; que l’un, peu nombreux, mais discipliné, mais habile, travaillait à entraîner la bourgeoisie à l’attitude égoïste d’une aristocratie ; que l’autre, plus considérable, plus généreux, demande à la bourgeoisie de garder les instincts et les sympathies populaires, de faciliter à tout travailleur prolétaire la conquête successive du bien-être et des droits politiques. Verriez-vous par hasard, dans cette manière d’apprécier les choses, l’oubli des principes démocratiques ? Mais pourquoi vous dissimulerais-je, madame, qu’à mes yeux les prétendus conservateurs doivent beaucoup de leurs succès à l’effroi répandu par les entreprises et les théories de quelques hommes qui se disaient exclusivement les défenseurs du peuple ? Toujours, en politique, les fautes, même commises avec bonne foi, profitent aux adversaires, et la défaite suit de près l’erreur.

Il ne m’est pas possible d’accepter les définitions que vous m’offrez ; vous appelez le peuple tout ce qui ne possède que par son travail et relativement à son travail, et la bourgeoisie tout ce qui possède sans travail ou au-delà de son travail. Quant au peuple, vous savez que je ne le définis point par le prolétaire, mais que je vois dans le mot peuple le terme social le plus général. Sans doute, il arrive dans les habitudes du langage d’appeler plus particulièrement peuple les classes ouvrières ; mais cette acception ne saurait être élevée au rang d’une définition juste. Si M. de La Mennais eût intitulé son ouvrage