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faiblesse. L’utopie vous paraît chose si compromettante, que vous avez la malice de m’en renvoyer l’accusation à la fin de votre lettre. Je n’ai point à fonder une société idéale, parce que je n’ai jamais eu le dessein d’anathématiser et de nier la société qui existe ; je crois la société susceptible de développemens et de réforme ; j’attribue aux théories et aux idées la puissance d’élever la civilisation moderne à une moralité plus vraie, et la conscience des progrès accomplis depuis trois siècles interdit à ma raison tout désespoir pour l’avenir.

Vous me reprochez encore le conseil que j’adresse à M. de La Mennais de faire de nouvelles tentatives pour concilier la science et la foi, et je vois, par les questions que vous posez, que vous ne vous rendez pas compte avec exactitude des rapports qui existent entre ces deux termes. La foi n’est pas le but fatal de la science, elle en est, au contraire, une préparation ; la science n’est pas le chemin fatal de la foi ; c’est, au contraire, la foi qui mène à la science : elle précède la démonstration et la certitude. Il y a, entre ces deux termes que l’esprit humain ne doit pas laisser immobiles, action et réaction. Loin donc de nier qu’on puisse être tout ensemble homme de science et de foi, je crois que l’homme est d’autant plus parfait que ces deux forces vivent chez lui dans un exact équilibre ; aussi ai-je regretté que, chez M. de La Mennais, la partie affective et sentimentale ait trop empiété, dans ces derniers temps, sur la partie rationnelle. Mais le génie a des retours imprévus et peut se signaler par des contrastes éclatans. Joignez-vous plutôt à moi, madame, pour conjurer M. de La Mennais de reprendre les beaux travaux que j’annonçais, avec tant de plaisir, au public en 1834. M. de La Mennais, quand il eut écrit l’Essai sur l’Indifférence, a laissé le catholicisme au même point qu’à la mort de Bossuet, comme je l’ai remarqué en 1832. Aujourd’hui il écrit le Livre du Peuple à l’école de Rousseau ; il est temps qu’il soit lui-même, et que l’écrivain populaire songe enfin à l’originalité du penseur.

Au surplus, madame, je ne puis m’empêcher de trouver bizarre la vivacité avec laquelle vous vous plaignez des dissentimens qui me séparent de M. de La Mennais, quand vous-même déclarez n’être pas de ceux qui acceptent son présent sans restriction. Vous n’êtes donc pas satisfaite sur tous les points ? Votre pensée n’est pas en communion complète avec l’esprit de l’homme que vous avez cru devoir défendre ; comment en douter, quand je trouve ces mots dans votre lettre « Le christianisme de M. de La Mennais n’a pas toute l’extension panthéistique que nous lui donnerions, si nous étions appelé à la