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à parler une langue que leurs frères d’Islande ne comprennent plus, de ce jour-là commence l’histoire de la littérature danoise.

Cette littérature est faible et lente à se développer. Pendant plusieurs siècles, il faut la suivre de bien près pour distinguer son léger souffle de vie, et entendre bourdonner sa voix tremblante. Tandis que la jeune muse du moyen âge s’éveille sous les orangers de la Provence et sous les forêts de chêne de la Normandie ; tandis que sur les deux rives de la Loire on entend tour à tour les moralités du fabliau et les plaintes du sirvente ; tandis que l’amour de la poésie passe d’une contrée à l’autre et pénètre dans la demeure du guerrier comme dans celle du prêtre ; que de toutes parts on écoute le minstrel, le minnesinger, et les poètes castillans aux rimes sonores, et les poètes italiens aux douces effusions d’ame ; en Danemark, tout est sombre et silencieux. Pas un chant poétique ne s’élève dans ce sommeil de la pensée, si ce n’est celui des scaldes, composé dans une autre langue et appartenant à une autre époque. Le christianisme venait de proscrire les fictions de la théogonie païenne, l’idiome moderne ne faisait encore que balbutier. Le peuple danois se trouva ainsi entre les débris de son ancienne religion et l’édifice inachevé de la nouvelle, entre une langue toute faite dont il s’écartait et une langue informe qu’il ne pouvait employer. Il était trop faible pour choisir un élément poétique et se créer aussitôt un instrument. L’intérêt matériel le préoccupait d’ailleurs beaucoup plus que toute idée de développement intellectuel ; ses luttes à main armée, ses courses de pirate ou de marchand vers des côtes lointaines, c’était là son poème, c’était là sa gloire et sa vie. Il oublia facilement tout ce qui eût pu le distraire de son existence aventureuse, et s’assoupit avec un calme de cœur parfait dans son ignorance et sa barbarie.

Quand on étudie l’histoire d’une littérature, l’esprit se laisse naturellement attirer par l’éclat des époques saillantes et l’auréole des grands noms. Mais il y a un charme particulier à descendre de ces sommités, visibles aux yeux de tous, pour parcourir les espaces intermédiaires, et s’en aller à l’écart chercher l’humble sentier qui se rejoint à la grande route, et la source d’eau oubliée qui s’échappe goutte à goutte de son bassin de granit et devient un fleuve. Il y a toujours une corrélation étroite entre les travaux de l’homme arrivé à l’âge mûr et la direction qu’il a prise dans son enfance. Il en est de même en littérature. Pour connaître le génie de l’humanité, il ne faut pas le chercher seulement dans ses époques de gloire, mais dans ses époques d’enfantement et d’effort. Les premières nous révèlent sa force, les secondes sa persévérance ; les premières sont comme le soleil de midi dans toute sa splendeur, les secondes comme le rayon du matin que les nuages voilent, que les brouillards obscurcissent, mais qui grandit peu à peu et projette ses rayons à travers les brouillards et les nuages.

Essayons donc de remonter à l’origine des études en Danemark, et ne nous effrayons pas de leurs commencemens grossiers, de leur marche incertaine,