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LA DERNIÈRE ALDINI.

demandai si Alezia serait tellement compromise par l’action qu’elle venait de faire, qu’il fût de mon devoir de l’épouser pour réhabiliter son honneur. Le comte sourit, et, me prenant la main avec affection : — Mon bon Lélio, me dit-il, vous ne savez pas encore à quel point le monde où Alezia est née renferme de sottise, et combien sa sévérité cache de corruption. Sachez, afin d’en rire et de mépriser de semblables idées autant que je les méprise, sachez qu’Alezia séduite par vous dans la maison de sa tante, après avoir été votre maîtresse pendant un an, pourvu que la chose se fut passée sans bruit et sans scandale, pourrait encore faire ce qu’on appelle un bon mariage, et qu’aucune grande maison ne lui serait fermée. Elle entendrait chuchotter autour d’elle, et quelques femmes austères défendraient à leurs filles, nouvellement mariées, de se lier avec elle ; mais elle n’en serait que plus à la mode et entourée de plus d’hommages par les hommes. Mais si vous épousiez Alezia, fût-il prouvé qu’elle est restée pure comme un ange jusqu’au jour de son mariage, on ne lui pardonnerait jamais d’être la femme d’un comédien. Vous êtes un de ces hommes sur lesquels aucune calomnie n’a de prise. Beaucoup d’hommes sensés penseraient peut-être qu’Alezia a fait un noble choix et une bonne action en vous épousant ; bien peu l’oseraient dire tout haut, et je suppose qu’elle devînt veuve, les portes fermée sur elles ne se r’ouvriraient jamais, car elle ne trouverait jamais un homme du monde qui voulût l’épouser après vous ; sa famille la considérerait comme morte, et il ne serait même plus permis à sa mère de prononcer son nom. Voilà le sort qui attend Alezia si vous l’épousez. Réfléchissez, et si vous n’êtes pas sûr de l’aimer toujours, craignez un mariage malheureux, car il ne vous sera plus possible de la rendre à sa famille et à ses amis quand elle aura porté votre nom. Si, au contraire, vous vous sentez la force de l’aimer toujours, épousez-la, car son dévouement pour vous est sublime, et nul homme au monde n’en est plus digne que vous. Je restai rêveur, et le comte craignit de m’avoir blessé par sa franchise, malgré les réflexions obligeantes par lesquelles il avait essayé d’en adoucir l’amertume. Je le rassurai. — Ce n’est point à cela que je songe, lui dis-je ; je songe à la signora Bianca, je veux dire à la princesse Grimani, et aux chagrins dont sa vie serait abreuvée, si j’épousais sa fille. — Ils seraient grands en effet, répliqua le comte, et si vous connaissiez cette aimable et charmante femme, vous y regarderiez à deux fois avant de l’exposer à la colère de ces insolens et implacables Grimani. — Je ne l’y exposerai point, répondis-je avec force, et comme me parlant à moi-même. — Cette résolution ne part