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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/601

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L’ORCO.

derrière comme des nuages emportés par l’ouragan. Bientôt les ténèbres s’épaissirent, le vent se leva, et le jeune homme n’entendit plus rien que le clapotement des flots et les sifflemens de l’air dans ses cheveux ; et il ne vit plus rien autour de lui que l’ombre et devant lui que la grande forme blanche de sa compagne. Debout à la poupe, les mains sur la rame, les cheveux épars sur les épaules, et ses longs vêtemens blancs en désordre abandonnés au vent, elle ressemblait moins à une femme qu’à l’esprit des naufrages se jouant sur la mer orageuse.

— Où sommes-nous ? s’écria Franz d’une voix agitée.

— Le capitaine a peur, répondit l’inconnue avec un rire dédaigneux.

Franz ne répondit pas. Il sentait qu’elle avait raison et que la peur le gagnait. Ne pouvant la maîtriser, il voulait au moins la dissimuler, et résolut de garder le silence. Mais, au bout de quelques instans, saisi d’une sorte de vertige, il se leva et marcha vers l’inconnue.

— Asseyez-vous, lui cria celle-ci.

Franz, que sa peur rendait furieux, avançait toujours.

— Asseyez-vous, lui répéta-t-elle d’une voix furieuse ; et, voyant qu’il continuait à avancer, elle frappa du pied avec tant de violence, que la barque trembla, comme si elle eût voulu chavirer. Franz fut renversé par la secousse, et tomba évanoui au fond de la barque. Quand il revint à lui, il vit l’inconnue qui pleurait, couchée à ses pieds. Touché de son amère douleur, et oubliant tout ce qui venait de se passer, il la saisit dans ses bras, la releva et la fit asseoir à côté de lui. Elle l’avait laissé faire sans résistance, mais elle ne cessait pas de pleurer.

— Ô mon amour, s’écria Franz en la serrant contre son cœur, pourquoi ces larmes ?

— Le lion ! le lion ! lui répondit-elle en levant vers le ciel son bras de marbre.

Franz porta ses regards vers le point du ciel qu’elle lui montrait, et vit en effet la constellation du lion qui brillait solitaire au milieu des nuages.

— Qu’importe ? Les astres ne peuvent rien sur nos destinées ; et s’ils pouvaient quelque chose, nous trouverions des constellations favorables pour lutter contre les étoiles funestes. Vénus brille au ciel aussi bien que le lion.

— Vénus est couchée, hélas ! et le lion se lève. Et là-bas ! regarde là-bas ! qui peut lutter contre ce qui vient là-bas ?