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meurtres qu’avait ordonnés Messaline ; mais aussi « avec la faiblesse du prince, si on avait le temps de faire valoir auprès de lui l’énormité d’un tel crime, elle pouvait être condamnée, écrasée, avant d’être accusée seulement. Tout le danger était qu’elle pût se défendre ; il fallait que les oreilles de Claude fussent fermées même à ses aveux. » Caliste, Narcisse et Pallas pensèrent pourtant à dissimuler tout, à menacer secrètement Messaline, et par ces menaces à éloigner Silius. Pallas et Caliste renoncèrent même à ce dessein, l’un par lâcheté, l’autre, qui avait vu la cour de Caligula, parce qu’il savait qu’on retient le pouvoir plutôt par la précaution que par la violence ; Narcisse persista seul, et, renonçant à avertir Messaline, attendit l’occasion d’instruire César.

Celui-ci prolongeait son séjour à Ostie. Il avait deux maîtresses, Calpurnie et Cléopâtre, que Narcisse, par des libéralités, par des promesses, par l’espérance d’un plus grand crédit lorsque Messaline serait renversée, décida à prendre sur elles les dangers d’une dénonciation. Calpurnie, dès qu’elle put voir César en secret, se jette à ses genoux, s’écrie que Messaline a épousé Silius ; Cléopâtre, interrogée par elle, confirme son récit. Elles font appeler Narcisse ; l’affranchi demande d’abord à son maître pardon pour le passé, pardon de lui avoir caché la honte d’une coupable épouse. « Ce qu’il veut aujourd’hui, ajoute-t-il, ce n’est pas reprocher à Messaline tant d’adultères, ce n’est pas redemander à Silius cette maison, ces esclaves, toute la pompe de sa fortune nouvelle : qu’il en jouisse ; mais qu’il rende à César une épouse, qu’il rompe cet infâme mariage ! — Sais-tu ton divorce ? dit-il à César. Le mariage de Silius s’est fait aux yeux du peuple, du sénat, des soldats ; si tu ne te hâtes, ce nouveau mari est maître de Rome. » Claude appelle ses amis, s’informe, s’inquiète ; qu’il aille au camp, lui dit-on, qu’il s’assure des prétoriens, qu’il mette sa vie en sûreté avant de songer à sa vengeance ! Le malheureux n’avait que trop besoin d’être rassuré, il croyait déjà Silius empereur. Frappé de son danger bien plus que de sa honte, il s’en allait au camp demandant sans cesse : « Suis-je encore prince ? Silius ne l’est-il pas ? »

« C’était en automne ; Messaline, plus folle et plus prodigue que jamais, célébrait les vendanges dans ses jardins ; le raisin était sous le pressoir, le vin coulait des cuves à grands flots ; les bacchantes en délire, ceintes de peaux de bêtes, dansaient à l’entour. Elle, les cheveux en désordre, le thyrse à la main, les cothurnes aux pieds, secouant sa tête comme une insensée ; auprès d’elle, Silius, couronné de lierre, entendaient les chants licencieux qui résonnaient à