Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/644

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
640
REVUE DES DEUX MONDES.

portait Elia Petina, que Claude avait déjà une première fois épousée et répudiée sans trop de motifs : c’était, disait-il, une figure connue, une femme déjà éprouvée ; rien d’inaccoutumé, rien de nouveau ; il trouvait excellent ce rajeunissement des vieilles amours. Caliste proposait Lollia Paulina, qui avait été femme de Caligula ; pour elle, sans doute, on faisait valoir l’habitude du palais et du trône. Mais Pallas fut plus habile et porta Agrippine. Celle-ci était fille de Germanicus et de la première, de la fière et courageuse Agrippine ; nièce de Claude, sœur et malheureusement plus que sœur de Caius, elle n’avait encore eu qu’un mari. Elle apportait avec elle, disaient ses partisans, un petit-fils de Germanicus (beau cadeau qu’elle fit à l’empire !) ; elle avait, ajoutaient-ils, toute sa jeunesse, une fécondité déjà éprouvée. Ainsi se calculaient les avantages d’une alliance.

Auprès d’un homme tel que Claude, le triomphe appartenait à qui pouvait le voir, l’entretenir, le caresser de plus près : le jus osculi, expression bien romaine de Suétone, fit la fortune d’Agrippine. Cependant la moralité romaine traitait les unions entre parens avec une gravité, une religieuse répugnance, une idée d’inceste qu’elles ne nous inspirent pas. Mais Vitellius prit tout sur lui : ce courtisan de Messaline, devenu bien vite celui d’Agrippine, le plus ignoble flatteur de cet ignoble règne, fit seulement promettre à César d’obéir au sénat, ce que César promit avec une parfaite humilité, se rendit au sénat, débita une harangue, et obtint un décret par acclamation. En revenant au palais, il attroupa quelques polissons sur le Forum, leur fit crier vivat ! et s’en vint sommer Claude d’épouser Agrippine en obéissance aux ordres du sénat et du peuple romain.

Agrippine, sa nièce, ne valait pas mieux que Messaline, sa cousine. Je voudrais vous bien rendre les belles paroles de Tacite : « La face des choses avait changé, tout obéissait à une femme ; mais ce n’était plus la domination désordonnée de Messaline, qui se faisait un jouet de l’empire romain. C’était un gouvernement viril, une servitude plus ferme et mieux calculée ; au dehors de la sévérité, souvent de l’arrogance ; au dedans, point de désordre, à moins que l’ambition n’en profitât ; un insatiable amour de richesses qui avait pour prétexte les besoins du trône. » C’était encore Messaline, aussi jalouse, aussi vindicative, aussi cruelle, mais plus bienséante, d’une plus ferme allure, d’une ambition plus savante, plus sûre de son fait. Agrippine n’avait de sa mère ni cette vertu de femme, ni ce courage d’homme, ni la probité de son orgueil ; toute fière qu’elle fût, elle savait au besoin « fléchir son orgueil, » comme dit Racine.