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LES CÉSARS.

santé et bon voyage à son ame, qui sort en grommelant de son corps. Ce qui s’est passé sur terre, vous le savez ; on n’oublie pas son bonheur. (Le bonheur d’avoir Néron pour souverain !) « Mais écoutez ce qui s’est fait au ciel ; j’ai mon témoin pour garant. On annonce à Jupiter qu’il arrive un personnage de haute taille, à cheveux blancs. On ne sait ce qu’il regarde avec étonnement, sa tête se balance sans relâche, il traîne la jambe droite. On lui a demandé de quelle nation il est. Il a rendu je ne sais quel son confus ; on n’entend pas sa langue ; il n’est ni Grec, ni Romain, ni d’aucun peuple qu’on connaisse. Jupiter dépêche Hercule, qui a parcouru tout le globe et connaît toutes les nations. À l’aspect de cette figure, Hercule est effrayé ; à voir cette face d’espèce nouvelle, cette démarche sans pareille, à entendre cette voix qui n’est celle d’aucun animal terrestre, rauque et sourde comme celle des monstres marins, il s’imagine qu’il n’a pas dompté tous les monstres, et que c’est là le treizième de ses travaux. Il regarde mieux, et voit quelque chose comme un homme. Quel homme es-tu ? quelle est ta patrie ? lui demande-t-il en grec. Claude est réjoui merveilleusement de trouver gens qui parlent grec, ce sera des auditeurs auxquels il pourra lire ses histoires ; aussi répond-il par le vers d’Homère :

D’Ilion jusqu’ici les vents m’ont entraîné.

Il aurait pu ajouter le suivant, qui est tout aussi bien d’Homère et qui est plus vrai :

J’ai massacré le peuple et ruiné la ville.

Hercule, qui n’est pas fin, allait le croire, si la Fièvre n’eût été là ; c’était la seule divinité qui eût assez aimé Claude pour venir avec lui ; toutes les autres étaient restées à Rome. Cet homme, reprit-elle, ne dit que mensonges ; il n’est citoyen que par la grace de Munatius (Munatius Plancus, qui avait fondé Lyon). Aussi, en vrai Gaulois, a-t-il bouleversé Rome. Je te le garantis pour un homme né à Lyon ; et toi, qui as plus cheminé que ne fit jamais un voiturin avec ses mules, tu dois savoir où est Lyon, et qu’il y a loin du Rhône au Simoïs. —

« Claude prend feu, et, en guise de réponse, se met à grommeler le plus fort qu’il peut ; il fait signe qu’il faut couper la tête à la Fièvre, c’est le seul geste que sa main puisse faire sans broncher. Mais vous l’eussiez cru au milieu de ses affranchis, tant on prenait peu souci de ce qu’il disait. — Écoute, reprend Hercule, et ne barguigne plus ;