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de la liberté qu’il procure. Une seule chose répugne à l’Égyptien, c’est que l’Européen, comme le juif, prête à intérêt. Les cheyks de religion, les marchands des bazars, les ouvriers occupés aux petites industries, et dont le salaire et la position sont restés libres, sont du parti de la propriété mobilière contre le monopole.

Les cheyks font opposition au nom de l’individualité et de la seconde partie de la formule du prophète. Cette opposition s’applique à la fois et à la répartition, qu’ils trouvent mauvaise, et à la guerre faite avec les bénéfices de l’unité territoriale contre le chef de l’islamisme[1]. Voici ce que disent les cheyks, ou plutôt ce qu’ils pensent : « Dans l’origine, les terres ont été distribuées et données par les successeurs de Mahomet, exerçant la souveraineté. Vous qui leur avez succédé, qui exercez la même souveraineté, vous n’avez pas le droit de défaire ce qu’ils ont fait ; vous ne pouvez reprendre ce qu’ils ont donné sans vous rendre coupable de spoliation et de tyrannie. Au mékémeh seul, à qui ce droit a été conféré par vos prédécesseurs, il appartient de régler l’ordre des propriétés. Vous ne pouvez lui reprendre ce droit, vous surtout pacha, qui n’êtes que le chef de la force militaire, qui tenez vos pouvoirs du sultan, et qui n’exercez en Égypte qu’un tiers de souveraineté[2]. Votre constitution nouvelle n’est donc qu’un abus de la force. » À cela, Mohammed-Ali ne répond que par le succès ; et il faut convenir, en effet, que le système de propriété qu’il a établi a été la base de sa fortune et de sa puissance. Ce système ne demande qu’à être amélioré, en donnant une plus large part à l’individualité dans la consommation et la jouissance des produits. Espérons que ce sera l’œuvre du successeur de Mohammed-Ali.

Aux hommes de théorie et de spéculation, ce qui précède suffirait pour démontrer que la constitution nouvelle de la propriété en Égypte a été un progrès réel. Il est bon toutefois, pour les hommes pratiques, de produire quelques chiffres ; car les chiffres semblent avoir aujourd’hui le monopole de la persuasion.

Le budget des recettes de l’Égypte, à trois époques différentes, depuis la conquête des Français jusqu’à nos jours, indique un progrès incontestable dans la richesse du pays :

Budget de 1799. 35,502,850 francs.
Id.de 1822. 47,988,150
Id.de 1835. 77,852,500

Le tableau comparé des importations et des exportations n’est pas moins significatif :

  1. Il existait aussi primitivement un autre grief : c’était de trop accorder aux Européens. Mais, depuis la réduction de la paie des employés et l’établissement des enchères à Alexandrie, ce grief a perdu beaucoup de sa valeur ; il ne reste plus que le reproche, trop bien fondé encore, d’emprunter surtout aux Européens ce qu’ils ont de plus rétrograde, la guerre et le despotisme qu’elle entraîne avec elle.
  2. Le sultan nommait autrefois, chaque année, pour le gouvernement de L’Égypte, trois grands fonctionnaires : un pacha, chef de la force militaire ; un defterdar, chef de l’administration et des finances ; un mollah, chef de la justice. Ce système existe encore pour toutes les provinces de l’empire.