Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/679

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
675
REVUE. — CHRONIQUE.

taient si douloureusement M. Necker ? Le capital de la France ne s’est-il pas accru en peu de temps de plus de 10 milliards ? Veut-on savoir ce que coûterait aujourd’hui, sur un seul point de la capitale, le terrain nu de l’habitation de quelques moines ? 18 millions. » — À notre tour, nous demanderons ce que sera l’économie du demi pour cent, quand les communications projetées seront faites ? Et ne sera-t-il pas toujours temps d’opérer cette réduction, tandis que chaque retard apporté dans l’exécution des lignes de chemins de fer et de canaux met l’avenir commercial de la France en péril ?

Louis XIV est devenu grand, et grand au point où il l’a été, par lui-même d’abord, mais aussi par deux hommes, Colbert et Lyonne, c’est-à-dire par la plus forte tête commerciale et par la plus forte tête diplomatique que la France ait produites. L’un employa pendant plus d’un quart de siècle son génie à négocier pour mettre l’Espagne sous le sceptre protecteur de Louis XIV, lui donner l’Alsace, la Flandre ; et l’autre s’appliquait déjà, dès les premiers jours de cette conception, à lier la France, l’Alsace, la Flandre et l’Espagne dans un vaste réseau d’intérêts communs. Ce fut la pensée qui s’exprimait ainsi dans l’édit de Louis XIV : « Permettre aux nations de faire par l’intérieur de la France le trajet du Rhin au détroit de Gibraltar. » Or les idées commerciales et les idées politiques se touchent encore de plus près dans notre temps. N’est-il donc pas bien important que l’Espagne et la Belgique, nos alliées politiques, ne soient pas écartées de nos alliances commerciales ? Qu’y a-t-il de plus pressant que d’ouvrir de vastes débouchés à travers la France, du midi au nord et du nord au midi ? et serait-ce le moment de tarder quand la Belgique travaille à ses chemins de fer, et menace de se jeter dans l’association des douanes prussiennes, si nos rails ne se hâtent d’aboutir aux siens ? Nous savons qu’on a objecté que le chemin de fer de Paris à Bruxelles donnerait trop d’importance au port d’Anvers. Mais il n’en est rien, d’abord parce que la direction du commerce maritime d’Anvers est toute différente de celle de nos ports de la Manche, et qu’un embranchement du chemin de fer de Paris au Hâvre, vers le chemin de Bruxelles, embranchement déjà marqué, augmenterait, au contraire, l’importance du Hâvre.

Nous ne dirons pas tous les intérêts secondaires (intérêts énormes cependant) qui se rattachent à la prompte exécution des canaux et des chemins de fer. Quiconque voudra étudier quelques heures cette question, reconnaîtra bientôt la grandeur de cette nécessité, et à moins qu’une pensée étrangère ne le préoccupe, l’importance du projet du ministère se fera sentir à son esprit. Ce projet est-il irréprochable ? Il est trop vaste pour ne pas demander un examen mûri, et il se peut qu’il subisse de grandes améliorations, bien qu’il ait été conçu par nos premiers ingénieurs. Déjà on a dit que, dans ce projet, les chemins de fer cherchaient les plateaux, tandis que les canaux n’abandonnaient pas les vallées. On a vu là une sorte d’idée de justice distributive, et l’on a reproché aux nouveaux chemins de fer de s’éloigner des populations industrielles qui se trouvent, en général, dans les vallées, pour aller visiter des contrées moins populeuses et moins actives. — « Vous avez voulu consoler des populations pauvres et inertes, s’écrient les feuilles qui ne se disent fondées que pour plaider les intérêts des classes souffrantes, est-ce là une idée commerciale et économique ? Un chemin de fer est une spéculation, et, en pareille affaire, on doit s’interdire le sentiment ! » — Pour nous, on nous