que le spectacle des marionnettes, comme tous les spectacles du monde, a eu une origine hiératique. La plus ancienne mention qui soit faite des statuettes à ressorts se trouve dans le père de l’histoire. En décrivant le culte de Bacchus en Égypte, Hérodote raconte que les femmes portaient en procession, dans les campagnes, des statues de ce dieu, hautes d’environ une coudée, et dont le phallus gigantesque était mu par des ficelles[1]. Les Grecs imitèrent cette pieuse et singulière mécanique[2]. C’est même une question de savoir si les premières statues grecques, celles qu’on nomma dédaliennes ne furent pas mobiles[3]. L’art chrétien a fait aussi usage de la statuaire à ressorts pour augmenter l’effet des grands spectacles ecclésiastiques. Un pélerin raconte avoir vu, dans l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem, un grand crucifix à jointures flexibles qui servait dans les cérémonies de la semaine-sainte et du Tombeau. Le nom même de marionnette, diminutif de Marion, petite Marie, vient d’une célèbre procession en usage à Venise, et dans laquelle on finit par substituer des poupées de bois aux nobles Vénitiennes qui d’abord faisaient, sous le nom de Maries, l’ornement de cette antique solennité.
« Sur quoi comptes-tu le plus ? demande Socrate au bateleur Philippe.
Sur les sots, répond Philippe, car ce sont eux qui me nourrissent en venant en foule voir danser mes pantins[4]. » Platon compare nos passions aux fils qui font mouvoir les marionnettes[5]. Aristote, ou l’auteur ancien qui a écrit le traité De mundo, donne une idée très avantageuse du degré de perfection qu’avaient atteint dans l’antiquité les poupées à ressorts. « Quand, dit-il, ceux qui font agir et mouvoir de petites figures, tirent le fil attaché à un de leurs membres, ce membre obéit aussitôt… On voit leur cou fléchir, leur tête se pencher ; leurs yeux, leurs mains, tous leurs membres semblent ceux d’une personne vivante. Ces divers mouvemens s’exécutent avec grace et précision[6]. » On ne pourrait rien dire de plus en parlant des Fantoccini de Rome ou de Florence.
Enfin il y avait les acteurs ambulans, des bouffons, des farceurs, des mimes, qui jouaient pour le peuple dans les rues ou sur l’orchestre des théâtres,
- ↑ Herodot., lib. ii, cap. CVII. — Plusieurs voyageurs modernes ont signalé en Afrique des pratiques religieuses à peu près semblables ; Grandpré, entre autres, raconte, dans son Voyage en Afrique (tom. I, pag. 118) qu’étant au Congo en 1787, il fut témoin d’une fête où des hommes masqués portaient processionnellement un phallus énorme qu’ils agitaient au moyen d’un ressort.
- ↑ Lucian., De Deâ Syria, cap. 16.
- ↑ Il est très vraisemblable que la prétendue mobilité des statues dédaliennes n’est qu’une métaphore admirative ; cependant plusieurs passages qui les concernent peuvent faire croire à une mobilité réelle. Je lis, par exemple, dans Platon : « N’as-tu pas fait attention aux statues de Dédale ? — À quel propos me dis-tu cela ? — Parce que ces statues, si elles n’ont pas un ressort qui les arrête, s’échappent et s’enfuient, au lieu que celles qui sont arrêtées demeurent en place. » Plat., Menon., pag. 971, D, E. — Cf. Euthyphr., pag. 11, C, D. — Callistr., Ecphrasis seu statuæ, § VIII, ap. Philostr., pag. 899.
- ↑ Xenoph., Sympos., cap. IV, § 55.
- ↑ Plat., De leg., lib. i, pag. 644, E.
- ↑ Aristot., De mundo, cap. VI, tom. I, pag. 376. — Il est curieux de rapprocher de ce passage la traduction qu’en a faite Apulée. De Mundo, tom. II, pag. 351, ed. Oudend.