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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

et incomplète. Le maniement le plus admirable de la parole ne supplée pas et ne suppléera jamais la sincérité, la profondeur de l’émotion. Or, dans toutes les œuvres lyriques de M. Hugo, où trouver une page qui respire une émotion sincère ? Le cinquième livre des Odes semble répondre à la question que nous posons. Mais M. Hugo consentirait-il à être jugé d’après le cinquième livre des Odes ? Assurément non. Bien qu’il professe pour toutes ses œuvres un respect religieux, bien qu’il soit décidé à ne rayer, à n’oublier aucun des vers qu’il a signés de son nom, il doit sentir, mieux que nous, que le cinquième livre des Odes est plutôt bégayé que chanté. Les sentimens qui circulent dans ce livre sont des sentimens vrais et deviendraient facilement poétiques sous la plume d’un artiste consommé ; mais M. Hugo, lorsqu’il essayait de les traduire, était encore trop inexpérimenté, trop étranger à toutes les difficultés de la langue, à toutes les ruses de la versification, pour exprimer nettement ce qu’il avait dans le cœur. Les vagues espérances, les mélancoliques rêveries du vallon de Chérizy, confiées au même interprète cinq ans plus tard, seraient sans doute comptées aujourd’hui parmi les monumens les plus purs de la poésie française. Ébauchées par une main inhabile, ces rêveries demeurent comme un enseignement, comme un conseil, et montrent ce que fût devenu M. Hugo, s’il eût acquis la connaissance complète de l’instrument poétique, avant de chanter ses émotions et ses pensées. Oui, sans doute, le cinquième livre des Odes mérite d’être médité ; mais, parmi les admirateurs de M. Hugo, en est-il un seul qui voie dans ces Odes une série d’œuvres achevées ? je ne le crois pas.

Ainsi les premières années de l’adolescence de M. Hugo, c’est-à-dire l’espace compris entre seize et vingt-deux ans, sont représentées d’une façon très incomplète dans ses œuvres lyriques. Le rêveur et l’amant n’ont trouvé dans l’artiste qu’un écho infidèle. L’époux et le père ont-ils été plus heureux ? Les feuilles d’Automne sont là pour répondre. Ce recueil nous paraît supérieur à toutes les œuvres lyriques de M. Hugo ; mais si le style des Feuilles d’Automne surpasse en clarté, en éclat, le style du cinquième livre des Odes, qu’il y a loin de l’émotion sincère de l’adolescent aux émotions factices du chef de famille ! Amant, agité de troubles sans nombre, face à face avec un avenir incertain, acharné à la poursuite d’un bonheur qui fuit devant lui, dévoué à des croyances qu’il n’a pas eu le temps de discuter, M. Hugo, de seize à vingt-deux ans, prend la poésie au sérieux, et cherche dans l’art des vers plutôt un soulagement qu’une profession. Il ne dit pas nettement ce qu’il veut dire ; mais du moins il ne parle