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que tout, qui change en un moment l’indifférence en enthousiasme, qui dispose de la haine et de l’amitié ; c’est la vanité. Qu’appelez-vous le beau ? les hommes ont-ils jamais pu s’entendre là-dessus ? L’idéal des Grecs et de Platon ne nous attire qu’à vingt ans ; sitôt que l’homme a mis les mains à l’œuvre, qu’il s’est emparé de l’orchestre, de la toile ou du marbre, l’idéal, aux yeux de son intelligence, est ce qu’il a produit ; à dater de ce jour, c’est du centre de son œuvre que rayonnent toutes ses sympathies, cherchant sur la terre quelque chose qui lui ressemble, pour l’aimer et s’y complaire. On ne peut se figurer de quelle affection profonde l’auteur de Médée entoure M. Halévy  ; c’est la sollicitude du père pour son fils, plus encore peut-être, du maître pour l’élève ; il se réjouit de ses succès, gémit de ses défaites, et le proclame sublime à toute heure. M. Halévy n’a qu’à chanter la gamme, pour que l’admiration de l’illustre vieillard s’en donne à cœur joie, et puise là, comme à la source vive de toute mélodie. Vraiment si l’on pouvait jamais perdre de vue le mobile mystérieux dont nous parlions et qui soulève, presque à leur insu, les consciences les plus droites, on se demanderait, en face d’un pareil enthousiasme, si M. Halévy ne serait pas d’aventure quelque Mozart ou quelque Beethoven méconnu. Au reste, on conçoit que, par le temps d’indifférence absolue où nous vivons, l’auteur des Deux Journées ait dû être flatté de voir un homme nouveau s’attacher à le suivre pas à pas dans la carrière : à tort ou à raison, notre siècle déserte les autels du passé ; il ne reste plus guère de disciples fervens à l’école du grand style pompeux et de la musique admirative, depuis que Beethoven, Rossini et Weber ont démontré d’une si éclatante façon que le vrai beau est loin d’exclure la variété, et que la monotonie n’est pas un élément indispensable du sublime dans l’art. D’ailleurs, il est si doux d’encourager d’en haut, d’applaudir qui on protége ; on admire avec tant de calme et de sérénité quand on sent que son admiration ne peut tourner à l’envie ! M. Halévy a pris à son maître tout ce qu’il pouvait lui prendre. Les distances qui séparent toujours le talent élevé de l’imitation adroite, étant une fois gardées, c’est la même correction mesurée et froide, la même réserve dans les dispositions des parties, le même culte de l’orchestre, avec cette différence que, chez le maître, la prétention au grandiose domine presque toujours, tandis que l’élève semble prendre plaisir à se perdre sans cesse dans les détails minutieux d’une instrumentation oiseuse. Du reste, des deux côtés la même exactitude dans le dessin, la même sévérité de ligne. En vérité, le beau mérite de ne