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vrage plein d’intérêt et de sagesse, le style en est correct, élégant, doux et un peu triste ; l’auteur va mourir : son récit vous touche et vous attache, comme les derniers accens d’une voix qu’on n’entendra plus.

Depuis la dernière moitié du XVe siècle jusqu’au commencement du XVIIe, l’Espagne fut la première nation de l’Europe ; elle dota l’univers d’un nouveau monde ; ses aventuriers furent de grands hommes ; ses capitaines devinrent les premiers généraux de la terre ; elle imposa ses manières et jusqu’à ses vêtemens aux diverses cours ; elle régnait dans les Pays-Bas par mariage, en Italie et en Portugal par conquête, en Allemagne par élection, en France par nos guerres civiles : elle menaça l’existence de l’Angleterre après avoir épousé la fille de Henri VIII. Elle vit nos rois dans ses prisons et ses soldats à Paris ; sa langue et son génie nous donnèrent Corneille. Enfin elle tomba ; sa fameuse infanterie mourut à Rocroi, de la main du grand Condé ; mais l’Espagne n’expira point avant qu’Anne d’Autriche n’eût mis au jour Louis XIV, qui fut l’Espagne même transportée sur le trône de France, alors que le soleil ne se couchait pas sur les terres de Charles-Quint.

Il est triste de rappeler ce que furent ces deux monarchies en présence de leurs débris. Ces paroles du grand Bossuet reviennent douloureusement à la mémoire : « Île pacifique où se doivent terminer les différends de deux grands empires à qui tu sers de limites ; île éternellement mémorable ; auguste journée, où deux fières nations, long-temps ennemies et alors réconciliées, s’avancent sur leurs confins, leurs rois à leur tête, non plus pour se combattre ; fêtes sacrées, mariage fortuné, voile nuptial, bénédiction, sacrifice, puis-je mêler aujourd’hui vos cérémonies et vos pompes avec ces pompes funèbres, et le comble des grandeurs avec leurs ruines ! »

L’Espagne, sous la famille de Louis-le-Grand, s’ensevelit dans la Péninsule jusqu’au commencement de la révolution. Son ambassadeur voulut sauver Louis XVI et ne le put ; Dieu attirait à lui le martyr : on ne change point les desseins de la Providence à l’heure de la transformation des peuples.

Charles IV fut appelé à la couronne en 1778 : alors se rencontra Godoï, inconnu que nous avons vu cultiver des melons après avoir jeté un royaume par la fenêtre. Favori de la reine Marie-Louise, Godoï passa au roi Charles : celui-ci ne sentait pas ce qu’il était, celui-là, ce qu’il avait fait ; ils étaient donc naturellement unis. Il y a deux manières de mépriser les empires : par grandeur ou misère ;