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années de ma vie : elle a été couronnée de ma main… Je veux qu’elle conserve le rang et le titre d’impératrice. »

Joséphine prit ensuite la parole et dit d’une voix étouffée par les sanglots : « Je me plais à donner à mon auguste et cher époux la plus grande preuve d’attachement et de dévouement qui ait été donnée sur la terre ; je tiens tout de ses bontés ; c’est sa main qui m’a couronnée, et, du haut de ce trône, je n’ai reçu que des témoignages d’affection et d’amour du peuple français. Je crois reconnaître tous ces sentimens en consentant à la dissolution d’un mariage qui, désormais, est un obstacle au bien de la France, qui la prive du bonheur d’être un jour gouvernée par les descendans d’un grand homme. » Toute cette scène, malgré l’appareil d’étiquette qui y fut déployée, fut extrêmement touchante.

Le lendemain 16 décembre, un sénatus-consulte, adopté par le sénat, déclara dissous le mariage de l’empereur Napoléon avec l’impératrice Joséphine. L’épouse répudiée se rendit aussitôt à la Malmaison pour y cacher ses pleurs, et l’empereur à Trianon, comme s’il eût voulu fuir ce palais des Tuileries, témoin si long-temps de leur bonheur mutuel et qui venait d’être le théâtre de scènes si déchirantes.

Napoléon avait à choisir une nouvelle épouse. Trois partis se présentaient à lui : une princesse de Saxe, une archiduchesse d’Autriche et une grande duchesse de Russie. Une alliance avec la maison de Saxe n’eût répondu qu’imparfaitement au but que se proposait l’empereur ; elle n’eût point renforcé son système et elle eût certainement déplu à Saint-Pétersbourg. Une archiduchesse était un brillant parti, mais qui avait un inconvénient immense, celui de nous aliéner l’empereur Alexandre. Restait le parti russe, qui réalisait au plus haut degré tous les avantages d’une alliance de famille.

L’empereur Alexandre avait une sœur, la grande-duchesse Anne Petrowna, âgée de seize ans. C’est à cette jeune princesse que Napoléon résolut de s’unir. Les convenances politiques le guidèrent surtout dans cette préférence. Il ne pouvait s’abuser sur les dispositions actuelles d’Alexandre, et il savait bien que pour le rattacher à sa cause, il fallait d’autres garanties que de simples protestations d’amitié. Évidemment, la guerre de 1809 et le traité qui l’avait terminée avaient comme dissous l’alliance de Tilsitt. Les intérêts de la France et de la Russie, harmonisés par cette alliance, étaient devenus incompatibles et déjà tout-à-fait hostiles, et cependant la première ne pouvait se passer du concours de la seconde, dans les mesures extrêmes et décisives qu’elle méditait contre l’Angleterre. De là, de part et d’autre, une position fausse et violente dont il n’était possible de sortir que par deux issues, par une nouvelle alliance politique fondée, comme celle de Tilsitt, sur un partage à peu près égal de force et d’influence entre les deux empires, ou par une guerre qui soumit le plus faible au plus fort. Mais ces deux partis extrêmes répugnaient à Napoléon : l’alliance, parce qu’elle eût exigé tout d’abord de sa part le sacrifice d’une partie de sa prépondérance ; la guerre, parce qu’elle l’écartait du but actuel de ses efforts, l’abaissement de l’Angleterre.