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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

Cet évènement a été décisif dans les relations politiques des deux empereurs. Il acheva ce que le dernier traité de Vienne avait commencé. Il creusa entre eux un abîme que rien ne put combler. Toute confiance, toute harmonie entre ces deux grands princes, furent détruites sans retour. Les dernières protestations de Napoléon, ses égards empressés, tout fut effacé aux yeux du czar. L’alliance de famille lui parut un acheminement à une alliance politique, le symptôme éclatant d’un nouveau système, et le dernier coup porté à celui qui avait été établi à Tilsitt. C’est alors que l’avenir commença à lui apparaître sombre et menaçant, et qu’il résolut de se mettre en mesure pour tenir tête aux orages qui s’amoncelaient dans l’Occident.

À tout prendre, ce fut un grand malheur pour Napoléon qu’il n’ait pu s’unir par les liens du sang avec l’empereur Alexandre : même en admettant que cette alliance n’eût point détourné le cours des évènemens, elle l’eût certainement ralenti ; elle en eût modéré la violence, elle eût ajourné la solution des graves difficultés que le dernier traité de Vienne avait soulevées entre les deux empires. N’eût-elle produit que ce résultat, il eût été immense, car gagner du temps pour l’empereur, c’était tout. Libre pour quelque temps d’inquiétude du côté du Nord, il eût appliqué son génie et ses forces à pacifier l’Espagne et à vaincre l’Angleterre. Ces deux ennemis abattus, il fût devenu le dictateur de l’Europe, l’arbitre souverain de toutes les questions. Sa puissance fût devenue si prodigieuse, qu’Alexandre n’eût probablement point osé la braver, heureux sans doute d’accepter les dépouilles de l’empire ottoman en dédommagement de sa résignation au rétablissement intégral de la Pologne.

L’alliance avec l’Autriche, au contraire, à côté d’avantages douteux, entraînait d’immenses inconvéniens ; et d’abord elle nous aliénait la Russie dont le dévouement et l’appui nous étaient indispensables pour triompher de l’Angleterre, et ne la remplaçait point par l’alliance de l’Autriche, car cette puissance, depuis ses derniers malheurs, n’avait plus d’alliance à nous offrir ; elle nous appartenait forcément, non à titre d’amie, mais comme une ennemie vaincue et subjuguée. Marie-Louise, donnée par elle au chef de la France, ne pouvait être que le triste gage de sa servitude, et la plus vive expression de son abaissement. Cette alliance a été bien funeste à l’empereur, car elle l’a entouré d’illusions et de mensonges. Elle lui a fait voir un beau-père et un allié dans un ennemi qui ne lui avait livré sa fille que pour sauver sa monarchie et sa couronne.

La France ne se laissa point éblouir par l’éclat et le faste des fêtes du mariage ; son jugement resta sain et ferme au milieu de l’ivresse étudiée et des adulations des courtisans ; elle jugea sévèrement l’alliance ; elle ne put voir sans douleur son illustre chef passer des bras d’une épouse qui était sortie de ses rangs, dans ceux d’une Autrichienne, et, par cet accès d’orgueil monarchique, répudier, en quelque sorte, son origine plébéienne et révolutionnaire.

Maintenant que cette alliance fatale est conclue, tous les regards de l’Europe vont se fixer sur Paris, et Vienne, car du degré d’intimité qui va