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La cour de Vienne s’associa franchement à la pensée de son ministre et s’abandonna tout entière à l’impulsion qui l’entraînait vers nous. L’alliance politique devint le but de tous ses vœux comme de toutes ses démarches. À voir son ardeur actuelle, dépourvue de toute dignité, on eût dit qu’elle voulait pénétrer de force dans notre système et conquérir de haute lutte notre amitié et notre confiance. Cette cour nous donna alors un étrange spectacle. On vit son empereur, ses ministres, ses archiducs, sa noblesse elle-même, changer brusquement et sans pudeur de langage et d’attitude vis-à-vis de nous, accabler d’égards et d’empressemens notre ambassadeur, rivaliser de servitude et d’adulations, exalter à l’envi la gloire et le génie du grand homme qui nous gouvernait, tous enfin concourir de leurs paroles et de leurs actions à cet éclatant mensonge d’un dévouement prétendu sincère à leur plus mortel ennemi : nouvel et triste exemple de la dégradation et de l’avilissement dans lesquels l’excès du malheur finit trop souvent par précipiter les ames. L’empereur François joua son rôle, dans cette haute comédie politique, avec une apparence de bonhomie pleine de ruse et d’habileté. Ses effusions de père l’aidèrent merveilleusement à dissimuler ses vues politiques. Le sacrifice de sa fille une fois consommé, il parut s’identifier avec les nouvelles destinées de Marie-Louise. On le vit se passionner pour les moindres incidens qui se rattachaient à une tête aussi chère, se montrer heureux de son bonheur, fier de l’avoir placée sur le premier trône du monde, puis associer à ces sentimens de père l’expression de ses vœux pour l’alliance. Rien ne contribua plus que ce mélange de tendresse paternelle et de ruse politique à tromper la sagacité de Napoléon. Il lui a fallu les cruelles épreuves de 1814 et de 1815 pour l’éclairer sur la bonne foi et les vertus de famille de la noble maison de Hapsbourg et de Lorraine.

« Je donne à votre maître ma fille chérie, dit l’empereur François, le 11 mars 1810, au comte Otto, notre ambassadeur à Vienne ; elle mérite d’être heureuse, et je suis sûr qu’elle le sera : aussi voyez-vous la joie répandue sur tous les visages ; mes peuples ont besoin de repos, ils applaudissent au dessein que nous avons pris ; je suis sûr que nos liens se resserreront de plus en plus. » Quelques jours après, il dit au même ambassadeur ces mots plus expressifs encore : « Nous n’avons plus qu’un même intérêt, c’est de resserrer nos liens et de travailler de concert au repos de l’Europe. »

L’oligarchie autrichienne prêta franchement son appui au système nouveau : jamais elle n’avait abhorré plus profondément notre domination ; mais, éclairée et habile, elle avait la mesure exacte et le sentiment des malheurs du pays. Elle-même avait beaucoup souffert dans la dernière guerre : elle avait trempé de son sang les champs d’Eckmuhl, d’Essling et de Wagram. La paix et le repos lui étaient nécessaires pour cicatriser d’aussi grands maux. Elle approuva donc l’alliance de famille : au lieu de se tenir à l’écart, elle affecta d’étaler ses pompes dans les solennités du mariage ; elle évita ensuite d’entraver, par aucune démarche improbatrice, le système de M. de Metternich, parut résignée et soumise, se contentant d’épancher l’expression de ses re-