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cisive, la cour de Vienne avait résolu de frapper les grands coups. Son ministre se lamente sur les difficultés de sa position ; s’effrayant de dangers qui n’existent point, il montre sa cour entourée de mille intrigues, ayant toutes pour but de l’écarter des bras de la France, à laquelle elle veut se donner, pour la rejeter dans ceux de l’Angleterre qu’elle hait et qu’elle repousse. « Tout ceci, dit-il au comte Otto, tient à un fil, et il faudrait bien peu de chose pour le rompre. » L’empereur François vient lui-même en aide à son ministre. Pour nous émouvoir, il met à nu sa faiblesse naturelle ; il l’exploite avec un air de franchise rempli de perfidie. « Il craint, dit-il, de succomber aux embûches qu’on lui tend de toutes parts ; il conjure son gendre de lui épargner, en fixant son sort, de pénibles épreuves. On veut à tout prix me compromettre vis-à-vis de la France, dit-il le 19 juillet, au comte Otto ; les intrigues n’auront un terme que lors de la signature d’un traité d’alliance. »

Tandis que la cour de Vienne implorait notre alliance avec de si vives instances, la Turquie se livrait de même à nous sans partage. Dans la dernière guerre, elle avait été sur le point de céder à l’influence anglaise ; la majorité du divan, corrompue et subjuguée, s’était assemblée au bruit des désastres d’Essling, et avait délibéré si le moment n’était pas venu de nous déclarer la guerre. La chute de l’Autriche à Wagram déjoua à Constantinople, comme ailleurs, les plans de nos ennemis, et la réaction en notre faveur fut subite et violente. Le sultan Mahmoud connaissait tous nos torts envers lui, et nos ennemis avaient su, par d’adroites calomnies, les aggraver encore ; il savait qu’à Tilsitt, Alexandre et Napoléon avaient ébauché un partage de son empire, qu’à Erfurth la France avait acheté à ses dépens la coopération de la Russie contre l’Autriche. Il s’affligeait d’une politique si contraire aux traditions de la vieille monarchie française, et la déplorait hautement et avec amertume ; mais habitué, comme les Orientaux, à voir le droit dans la force, et un décret du ciel dans un fait accompli, disciple d’ailleurs de Sélim l’admirateur enthousiaste de Napoléon, il avait pour cet empereur un sentiment profond de respect mêlé d’une sorte de religieuse terreur. Ce fut lui, et presque lui seul qui, dans la guerre de 1809, sut résister à l’entraînement du divan, aux menaces de la flotte anglaise, et rester en paix avec la France. Au fond, il avait une connaissance très exacte des affaires de l’Europe ; maintenant que l’Autriche était dans la dépendance de la France, l’empereur Napoléon lui apparaissait comme le pouvoir dominateur sur le continent, et le véritable arbitre des destinées de la Porte. Il craignait, et tout le divan partageait ses appréhensions, que son empire ne devînt tôt ou tard la victime et le prix de l’alliance qui unissait la France et la Russie. À cet égard, les précédens de Tilsitt autorisaient toutes les craintes ; un voile mystérieux enveloppait encore les conférences d’Erfurth. À Constantinople comme à Vienne, on ignorait la limite précise des concessions que l’empereur Napoléon avait faites alors à son allié. Peut-être s’étaient-elles étendues bien au-delà de la Moldavie et de la Valachie ? peut-être avait-il payé le consentement d’Alexandre au rétablissement futur de la Pologne, en lui abandonnant