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riche marché où s’écoulaient ses bois, ses fers et ses pelleteries, et d’où elle recevait, en échange, les produits industriels nécessaires à ses besoins, cette puissance lui assurait tout. Parvenir à briser un tel faisceau de liens semblait une tâche impossible. D’ailleurs, sa puissante alliée exerçait sur elle tous les genres d’ascendans : avec le pouvoir de lui rendre de grands services, elle avait aussi celui de lui faire beaucoup de mal ; elle la dominait ainsi par la terreur non moins que par les bienfaits. Dès que la saison le lui avait permis, elle avait envoyé une escadre de vingt vaisseaux de guerre dans la Baltique, afin de tenir la Suède en échec et d’être en mesure de l’accabler si elle se jetait trop avant dans l’alliance française. Confiante dans l’amitié d’une puissance sous le patronage de laquelle elle s’était si long-temps placée, la cour de Stockholm avait laissé sans défense toutes ses côtes méridionales. Carlscrona, qui renfermait tous ses établissemens maritimes, onze vaisseaux de guerre, sept frégates et neuf bricks ; Landscrona, la clé de la Baltique, étaient hors d’état de résister à un coup de main des Anglais. Enfin, eût-elle voulu adopter sincèrement le système continental, la contrebande se serait jouée de ses efforts. Ses rivages démesurément étendus, hérissés d’une multitude infinie d’îles, se prêtaient merveilleusement à la fraude, et toute la sévérité des douaniers n’aurait pu l’empêcher. Aussi le gouvernement suédois, en adhérant au système continental, avait-il promis à la France plus qu’il n’avait le pouvoir et la volonté de tenir. Céder tantôt à une exigence, tantôt à une autre, selon son degré de violence ; s’efforcer, avant tout, d’échapper à la plus dure de toutes, celle de rompre avec l’Angleterre ; tâcher d’arriver à force de ruses, de dénégations, d’engagemens pris et rompus, à la crise quelconque qui fixerait son sort, comme celui du reste de l’Europe, tel fut le plan de conduite qu’elle résolut de suivre.

Il est des nécessités tellement impérieuses, qu’il y a folie à vouloir les dominer. Aussi, l’empereur, tout emporté qu’il fût par sa haine contre l’Angleterre, était trop éclairé pour ne pas comprendre et subir la position tout-à-fait exceptionnelle où se trouvait la Suède. Il entrait dans ses calculs d’exiger beaucoup d’elle, sauf à tolérer de sa part, sans l’avouer, des infractions au système dont sa constitution géographique était en quelque sorte complice. Peu lui importait au fond que ce royaume s’approvisionnât de sucre, de coton et de café sur les marchés anglais, pourvu que ces produits se consommassent exclusivement chez elle. Elle n’était, après tout, pour le commerce britannique, qu’un débouché de trop peu d’importance, pour le sauver de sa ruine. Mais la Suède ne se contentait pas de pourvoir aux besoins de sa propre consommation ; elle partageait, dans la mer Baltique, le rôle et les énormes bénéfices des Américains naviguant pour compte anglais. Dans le moment même où tout le continent se soumettait à nos décrets, non-seulement elle s’en affranchissait pour elle-même, mais elle passait des conditions de la simple neutralité à un état de guerre offensive contre notre système. Elle se faisait l’intermédiaire le plus actif de tout le commerce de nos ennemis avec ces mêmes ports de la Baltique que nous venions de leur fermer, et dont elle avait en quelque sorte recueilli l’héritage commercial. La réunion de la Hollande,