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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/25

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SOCIALISTES MODERNES.

ment du sol une nourriture qu’ils ne parviendraient plus à se procurer par les voies indirectes de l’industrie. Comme élément de population, M. Owen n’exigeait pas des ouvriers de choix, des hommes habiles et expérimentés, mais seulement cette masse illettrée et fainéante qui vit, en Angleterre, à l’ombre du paupérisme. À l’appui, et comme justification de son projet, il citait aux souverains alliés son expérience de New-Lanark, en ne lui attribuant toutefois qu’une valeur d’approximation, et il appuyait le tout de calculs de dépenses, de devis, de plans détaillés et de modèles en relief. On pressent facilement quel fut le sort de ce mémoire : le congrès d’Aix-la-Chapelle, arbitre du sort politique de l’Europe, ne pouvait pas déroger à ce point de s’occuper du sort des travailleurs.

Cette époque est toutefois l’une des plus belles phases de la vie de M. Owen. Dans la croisade qu’il allait entreprendre contre les préjugés régnans, il pouvait se présenter au public armé d’une réalisation retentissante, et, ce qui n’était pas moins décisif, d’une fortune de plusieurs millions. Son nom avait de l’ascendant, sa découverte soulevait l’enthousiasme. À l’apparition de ses Essais, lord Liverpool, alors chef du cabinet, se crut obligé d’en confier l’examen à lord Sidmouth, secrétaire d’état au ministère de l’intérieur, et celui-ci, dans une conférence officielle, n’hésita pas à déclarer au novateur que le gouvernement inclinait vers ses vues, et les appliquerait aussitôt que l’esprit public y serait préparé. Des exemplaires des Essais furent envoyés à tous les hommes importans du Royaume-Uni, aux évêques d’Angleterre, aux lords, aux membres de la chambre des communes, enfin à toutes les universités du monde. Les personnages les plus haut placés ne craignaient pas d’avouer leurs sympathies pour les idées de M. Owen, et, à diverses reprises, les frères du roi, le duc de Kent et le duc de Sussex, présidèrent les meetings où le philantrope gallois énonça et développa sa doctrine. M. Owen avait un parti dans le parlement, dans l’administration, dans le haut commerce. Les souverains ne dédaignaient pas de lui écrire des lettres autographes, et le roi de Prusse lui envoya une médaille d’or. Ceux même qui repoussaient le plus vivement ses opinions, ne pouvaient s’empêcher de témoigner leurs sympathies pour sa personne. Jamais réformateur ne fut plus applaudi, plus encouragé dans ses débuts.

M. Owen n’accepta pas pour lui-même cet engouement et cette sympathie, mais il les mit au service de ce qu’il croyait être la vérité. Quand le moment fut venu d’abdiquer cette popularité éphémère, il