Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/255

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
251
HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

conciliant et propre à faire disparaître, de part et d’autre, toute espèce de méfiance et à rétablir les deux nations, sous tous les points de vue, dans l’intimité d’une alliance qui, depuis quatre ans, a été heureuse. »

Cette lettre était une démarche pleine d’habileté, car, d’une part, elle tendait à rassurer la Russie sur la question de Pologne, et de l’autre, sans faire précisément du refus d’Alexandre de fermer ses ports aux bâtimens neutres, un cas de rupture immédiate, elle lui laissait clairement entrevoir que, s’il persistait dans ses refus, la guerre deviendrait tôt ou tard inévitable.

iv.

Les choses en étaient à ce point, lorsque deux incidens graves, la dislocation de la grande armée russe du Danube et les armemens secrets de la Prusse, vinrent encore accroître les méfiances et l’irritation qui armaient l’un contre l’autre les empereurs de France et de Russie.

La journée de Batin avait été, comme nous l’avons dit, désastreuse pour la Turquie : elle lui avait coûté une belle armée, un matériel immense et les principales places du Danube ; elle avait en quelque sorte décidé du sort de la Moldavie et de la Valachie, dont la réunion à l’empire russe semblait un fait désormais accompli. Cependant la Porte ne s’était point laissé abattre par un grand revers. Le sultan Mahmoud avait commencé à révéler, dans cette crise affreuse, cette mâle et puissante énergie qui, depuis, a marqué chaque phase de son règne, et qui, dirigée par un génie plus sûr ou favorisée par des circonstances plus heureuses, en eût fait un des plus illustres réformateurs de l’humanité. On le vit sortir des habitudes efféminées de ses prédécesseurs, s’arracher aux mollesses et à l’obscurité du sérail, se montrer en public, déclarer hautement qu’il ne consentirait jamais à la cession de la Moldavie et de la Valachie, vouer enfin à l’exécration publique tout musulman qui ne marcherait point à la défense de l’islamisme. Comme le trésor était vide, il donna lui-même l’exemple des sacrifices : il fit porter à la monnaie l’argenterie du sérail. En même temps, il appela ses peuples d’Asie à la défense de ses provinces d’Europe ; par ses ordres, Tchappa-Oglou s’avança à la tête de 50,000 Asiatiques et fut dirigé sur le Danube. Une nouvelle armée fut ainsi réorganisée comme par enchantement. Les Russes, surpris dans l’ivresse de leurs succès par un ennemi sur l’indiscipline et l’indolence duquel ils avaient compté, n’eurent pas le temps de profiter de la victoire de Batin. Les opérations recommencèrent plus vives que jamais sur les rives du Danube ; mais il était réservé à la Porte de se voir accabler dans cette campagne par une série non interrompue de désastres. Le 10 octobre 1810, les Russes et les Turcs se livrèrent, près de la ville de Routshouk, une bataille aussi sanglante et plus décisive encore que celle de Batin, car à Routshouk, la Porte perdit la seule armée qui lui restât. Les Balkans et Constantinople furent encore une fois à découvert : le sort de la Turquie était bien réellement cette fois dans les mains de la Russie.