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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/276

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REVUE DES DEUX MONDES.

mettre toutes ses forteresses sur le pied de guerre ; les régimens vont être portés au grand complet. »

Cette démarche était un coup de désespoir qui ne laissait à Napoléon d’autre alternative que d’envahir la Prusse ou de lui accorder son alliance. Il se décida pour ce dernier parti. Néanmoins des doutes lui restaient encore : peut-être les paroles du ministre prussien étaient-elles une dernière ruse pour prévenir l’invasion des Français et donner aux Russes le temps de s’approcher. Il arrête ses résolutions pour cette double hypothèse. D’une part, il promet formellement son alliance à la Prusse : « s’il n’a pas accueilli ses offres plus tôt, c’est par la seule crainte de donner des ombrages à la Russie[1] ; tel est le langage que le comte de Saint-Marsan doit tenir à la cour de Berlin. Mais, en même temps, ce ministre doit exiger impérieusement, au nom de son souverain, le désarmement immédiat de la Prusse. Si trois jours après cette déclaration, elle n’a pas révoqué tous ses ordres, le ministre de France devra quitter Berlin, après avoir écrit au prince d’Eckmuhl de marcher sur cette capitale avec cent cinquante mille hommes, et au roi de Saxe, d’envahir la Silésie.

Cette déclaration calma les angoisses du roi : quelque dure et violente que fût la forme sous laquelle Napoléon lui accordait son alliance, c’était l’alliance enfin ; et pour son pays, l’alliance, c’était la vie. Cependant l’empereur tardait encore à la conclure. Ces délais lui étaient commandés par tout l’ensemble de son système de guerre. Le sort du duché de Varsovie préoccupait au plus haut point sa pensée, et il voulait, à tout prix, le sauver d’une invasion russe. Pour obtenir ce grand résultat, il fallait qu’il arrivât sur la Vistule avant que les hostilités fussent commencées. De là sa résolution de ne conclure ses alliances qu’au moment définitif d’agir. Nous croyons qu’à cet égard ses précautions étaient superflues. Si son plan de guerre était tracé d’avance, celui d’Alexandre l’était aussi, et ce plan, auquel avaient travaillé les meilleurs généraux de l’empire, était de ne point venir nous combattre en Allemagne au milieu de toutes nos ressources, mais au contraire de nous attendre derrière les lignes de la Dwina, de nous attirer d’abord dans les marais de la Lithuanie, et puis ensuite dans les steppes de la Vieille-Russie, de tout détruire sur notre passage, de créer ainsi autour de nous la solitude des déserts, et de nous décimer par la triple action des batailles, de la famine et du climat. Cette grande combinaison ne fut pas, comme on l’a dit, l’œuvre fortuite des premières opérations militaires ; elle avait été mûrie long-temps et elle date de 1811. Notre ambassadeur, le comte de Lauriston, peu de mois après son arrivée à Saint-Pétersbourg, s’était procuré à cet égard les documens les plus précieux et les plus circonstanciés : il les adressa à l’empereur, sur l’esprit duquel il ne semble pas qu’ils aient produit une vive impression. On doit du moins le présumer quand on le voit apporter dans la conclusion

  1. Dépêche de Compiègne, 13 novembre 1811.