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caractères d’un dédain superbe. Cette conduite exaspéra Bernadotte : il avait fait à l’empereur des offres peut-être inacceptables, mais il les avait faites de bonne foi. Il est douteux que, dans la situation fatale où se trouvait son pays d’adoption, il lui fût possible d’en faire d’autres. Sa vanité se révolta contre un refus et un silence qui semblaient trahir un dessein prémédité de le mortifier et de le perdre aux yeux de la Suède entière. Alors l’esprit de vengeance pénétra dans son cœur ; sa tête irascible et ardente s’exalta. Tandis que la France le dédaignait, les cours de Londres et de Saint-Pétersbourg l’accablaient d’offres brillantes, recouraient pour le fasciner aux flatteries les plus insinuantes, se prosternaient devant ses talens militaires, lui attribuaient des victoires dont il n’avait été que l’instrument secondaire, l’entouraient enfin, lui prince sorti des rangs obscurs de la bourgeoisie, naguère républicain fougueux de la société du Manége, des mêmes respects qu’ils eussent montrés pour un descendant de Gustave-Adolphe.

Une ame moins subjuguée que celle de Bernadotte par une ambition vaniteuse eût succombé à tant de séductions. Il s’y livra tout entier. Il se jeta avec emportement dans les bras de l’Angleterre et de la Russie. Vis-à-vis de la France, il ne garda plus de mesures, s’abandonnant à des paroles d’envie et de colère contre l’empereur, disant hautement que c’était un génie sans frein et incapable de modération, poussant la hardiesse jusqu’à prédire qu’il se perdrait par l’abus qu’il faisait de sa force et de la faiblesse des autres. De l’offense dans les paroles, il passa bientôt à l’hostilité dans les actes. On le vit déchirer les derniers voiles qui déguisaient, au moins dans la forme, l’intimité de ses rapports avec l’Angleterre. Le pavillon suédois vint publiquement se placer sous la protection du pavillon anglais. Les navires des deux nations furent convoyés par des vaisseaux de guerre anglais et se livrèrent de concert au commerce des marchandises de guerre avec les ports de l’Espagne et du Portugal. Enfin la Suède fit des armemens extraordinaires qui, dans l’état de ses rapports avec la France, semblaient dirigés contre elle. Auprès de torts aussi graves, ceux de la Russie n’étaient que des fautes légères. Alors l’empereur Napoléon résolut à son tour de ne plus garder de ménagemens vis-à-vis d’une puissance qui en conservait si peu avec lui. Par ses ordres, les navires suédois furent assimilés aux navires anglais, et leur cargaison saisie ; sans occuper militairement la Poméranie suédoise, il fit saisir et confisquer, au profit de la France, toutes les denrées coloniales qui s’y trouvaient entreposées. À cette nouvelle, Bernadotte furieux fait venir le baron Alquier, et l’apostrophe en ces termes : « Je voudrais bien savoir, monsieur, de quel droit l’empereur a pu donner des ordres dans un pays où le roi de Suède est seul souverain et indépendant ? » Alquier lui ayant répondu en lui traçant le tableau des griefs de la France contre lui et en lui demandant ce qu’il avait fait pour elle, le prince reprit vivement : « Je vous déclare que je ne ferai rien pour la France, tant que je ne saurai pas ce que l’empereur veut faire pour moi, et je n’adopterai ouvertement son parti que lorsqu’il sera lié ouvertement avec la Suède par un traité d’alliance ; alors je ferai mon devoir… » Il