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à toute négociation, que la France évacuât la Prusse et les places de l’Oder, ainsi que la Poméranie suédoise ; qu’elle prît avec la Suède des arrangemens qui la satisfissent ; la Russie continuerait de recevoir les neutres comme par le passé ; elle modifierait l’ukase de décembre 1810 ; enfin elle accepterait les indemnités fixées par la France pour le duc d’Oldenbourg et retirerait sa protestation.

Exiger de Napoléon qu’il évacuât tout d’abord la Prusse et les places de l’Oder, c’était lui imposer une condition qu’une suite de victoires éclatantes eussent à peine justifiées ; preuve évidente qu’Alexandre avait pris son parti, et que de part et d’autre l’épée était tirée du fourreau.

L’empereur ne répondit point à l’ultimatum russe, car sa dignité ne lui permettait point d’en faire même la matière d’une discussion. Il lui eût fallu le rejeter tout entier, et le rejeter, c’était déclarer la guerre. Or, il voulait se réserver l’initiative des hostilités et gagner encore assez de temps pour arriver avec toutes ses forces sur le Niémen. Il ordonna au duc de Bassano d’éviter toute communication avec l’ambassadeur de Russie. Poussé à bout, Kourakin finit par écrire au ministre que si les propositions de l’empereur son maître n’étaient point admises immédiatement, sans modifications, il regarderait ce refus comme une option pour la guerre, et demanderait ses passeports. La déclaration était embarrassante. Le duc de Bassano lui répondit en lui demandant s’il avait des pleins pouvoirs pour signer immédiatement un arrangement définitif. Le prince Kourakin répliqua qu’il se croyait sans doute autorisé à signer une convention sujette, dans tous les cas, à ratification.

Les démarches pressantes de l’ambassadeur russe déterminèrent Napoléon à hâter son départ : il quitta Paris le 9 mai avec l’impératrice pour se rendre à Dresde, où l’attendaient les hommages et les adulations des rois, ses alliés. Les fonctions de Kourakin cessèrent par le départ de l’empereur, et il se retira à la campagne, attendant chaque jour ses passeports, que le duc de Bassano avait ordre de ne lui expédier que lorsque les hostilités seraient sur le point de commencer.

Le 1er mai, la grande armée française couvrait les rives de la Vistule.


Armand Lefebvre.