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dissolution de l’empire de Charlemagne ne fût consommée[1]. En même temps disparurent les distinctions qui s’étaient observées entre les diverses classes de personnes de condition servile. Il n’y eut plus de colons, plus de lides, plus d’esclaves, de même qu’il n’y eut plus de Saliens, de Ripuaires, de Visigoths. Les limites des conditions furent effacées comme celles des lois. La féodalité ramenait, par quelques endroits, à l’uniformité. Le système mobile et passager des obligations personnelles, qui convenait à des aventuriers, était en effet devenu insuffisant et impropre à des hommes fixés au sol. Le seigneur ne devait plus demander son salut ni sa force à la bande, il fallait qu’il la demandât au territoire. Il ne s’agissait plus pour lui de fortifier sa personne, mais sa demeure. Les châteaux allaient succéder aux associations. Ce fut le temps où chacun, afin de pourvoir à sa sûreté, se cantonna et se retrancha du mieux qu’il put. Les lieux escarpés ou inaccessibles furent occupés et habités ; les hauteurs se couronnèrent de tours et de forts. Les murs des habitations furent garnis de tourelles, hérissés de créneaux, percés de meurtrières. On creusa des fossés, on suspendit des ponts-levis. Les passages des rivières et les défilés furent gardés et défendus ; les chemins furent barrés et les communications interceptées. Bientôt les lieux d’abri devinrent des lieux d’offense. Apposté chez soi comme un oiseau de proie dans son aire, on fondait sur la campagne d’alentour, on attaquait son ennemi, son voisin, le voyageur ou le passant. À la fin du Xe siècle, chacun avait pris définitivement sa place et son poste ; la France était couverte de fortifications et de repaires féodaux ; partout la société faisait le guet et se tenait, pour ainsi dire, en embuscade.

À peine les seigneuries furent-elles constituées que les communes vinrent à paraître. Les associations, qui s’étaient jadis formées aux sommités de la société, se reformèrent maintenant à sa base. Dans les villes et dans les campagnes, les hommes livrés au commerce, à l’industrie, à l’agriculture, se réunirent et se liguèrent, soit pour résister à l’oppression des seigneurs, soit pour se soustraire aux obligations trop onéreuses de leur propre condition. Serait-ce comme on le dit, le sentiment de la dignité humaine qui, se réveillant enfin dans leur cœur, les aurait excités à l’indépendance ? Non, je le crois, rien ne justifie une pareille opinion.

L’insurrection communale, quelque légitime qu’elle soit dans son

  1. J’ai démontré ailleurs que les races avaient eu peu d’influence sur le démembrement de l’empire de Charlemagne, et que les lois particulières, qui distinguaient les races, s’étaient réunies dans les localités, et non pas les localités dans les lois.