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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/320

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REVUE DES DEUX MONDES.

« Ne dépense pas trop légèrement ce que je renferme ; quand tu sortiras de chez toi, charge-moi d’une pièce d’or ; c’est assez pour un jour, et s’il t’en reste le soir quelque chose, si peu que ce soit, tu trouveras un pauvre qui t’en remerciera.

Lorsque le jeune homme eut retourné la boîte de cent façons, examiné la bourse, regardé de nouveau sur le quai, et qu’il vit enfin clairement qu’il n’en pourrait savoir davantage : Il faut avouer, pensa-t-il, que ce cadeau est singulier, mais il vient cruellement mal à propos. Le conseil qu’on me donne est bon, mais il est trop tard pour dire aux gens qu’ils se noient, quand ils sont au fond de l’Adriatique. Qui diable peut m’envoyer cela ?

Pippo avait aisément reconnu que la négresse était une servante. Il commença à chercher dans sa mémoire quelle était la femme ou l’ami capable de lui adresser cet envoi, et, comme sa modestie ne l’aveuglait pas, il se persuada que ce devait être une femme plutôt qu’un de ses amis. La bourse était en velours brodé d’or ; il lui sembla qu’elle était faite avec une finesse trop exquise pour sortir de la boutique d’un marchand. Il passa donc en revue, dans sa tête, d’abord les plus belles dames de Venise, ensuite celles qui l’étaient moins, mais il s’arrêta là, et se demanda comment il s’y prendrait pour découvrir d’où lui venait sa bourse. Il fit là-dessus les rêves les plus hardis et les plus doux ; plus d’une fois, il crut avoir deviné ; le cœur lui battait, tandis qu’il s’efforçait de reconnaître l’écriture ; il y avait une princesse bolonaise qui formait ainsi ses lettres majuscules, et une belle dame de Brescia dont c’était à peu près la main.

Rien n’est plus désagréable qu’une idée fâcheuse venant se glisser tout à coup au milieu de semblables rêveries ; c’est à peu près comme si, en se promenant dans une prairie en fleurs, on marchait sur un serpent. Ce fut aussi ce qu’éprouva Pippo lorsqu’il se souvint tout à coup d’une certaine Monna Bianchina, qui, depuis peu, le tourmentait singulièrement. Il avait eu avec cette femme une aventure de bal masqué, et elle était assez jolie, mais il n’avait aucun amour pour elle. Monna Bianchina, au contraire, s’était prise subitement de passion pour lui, et elle s’était même efforcée de voir de l’amour là où il n’y avait que de la politesse ; elle s’attachait à lui, lui écrivait souvent, et l’accablait de tendres reproches ; mais il s’était juré un jour, en sortant de chez elle, de ne jamais y retourner, et il tenait scrupuleusement sa parole. Il vint donc à penser que Monna Bianchina pouvait bien lui avoir fait une bourse et la lui avoir envoyée ; ce soupçon détruisit sa gaieté et les illusions qui le berçaient ; plus il réfléchissait,