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tions perdirent de leur austère simplicité et d’énergiques qu’elles étaient, devinrent ingénieuses. Ses personnages et ses groupes, qu’il prodigua sur ses toiles dont il agrandit le champ, n’en furent ni moins raides, ni moins académiques ; son coloris ne gagna ni en chaleur, ni en éclat, ce qu’il sacrifiait de sa sévérité. Il devint blafard et violacé. David n’a été coloriste qu’un seul jour, le jour qu’il a peint le terrible tableau de Marat.

Les Indiens de l’Amérique du Nord, à ce que nous racontent les voyageurs, tuent leurs pères devenus vieux et qui ne peuvent plus les suivre à la chasse ou à la guerre. Chaque jeune école de peinture agit à l’égard de ses devanciers et de ses pères dans l’art, comme les Indiens de l’Amérique du Nord ; avec quelques différences cependant : c’est que d’abord l’immolation des pères a lieu tous les vingt ans, à l’inauguration de chaque école nouvelle ou prétendue telle ; c’est qu’ensuite les sauvages de par-delà les Montagnes Bleues tuent leurs pères avec tout le respect possible, leurs pères les obligeant à le faire et tendant volontiers la gorge, tandis qu’en France les enfans ne sont pas si respectueux, et avant de scalper leurs pères, qui font du reste une belle défense, ils commencent par bien les souffleter.

Ce qui chez nous rend les novateurs si intolérans, et je dirai presque si cruels, c’est le grand défaut de la nation française : l’engouement. Les esprits légers et mobiles s’engouent facilement ; en France, le public est chose très légère, il aime avant tout que l’on varie ses jouissances, et c’est là ce qui fait qu’il se tourne si volontiers du côté du soleil levant, surtout si le soleil du lendemain ne ressemble pas à celui de la veille. Le public, même le public qui écrit, ne prend guère la peine, les trois quarts du temps, de motiver ses jugemens, et cela, pour une bonne raison, par impossibilité de le faire, par ignorance. Il est plus facile de s’écrier comme le voisin : c’est délicieux ! c’est détestable ! que de chercher à s’éclairer et à voir ce que réellement il en est. Aussi en France tout est-il délicieux ou détestable, délicieux pendant dix ans, le maximum de la durée d’une mode, détestable pendant les dix années qui suivent. Ce n’est guère qu’après une vingtaine d’années qu’on est ou mis à sa place ou tout-à-fait oublié ; selon qu’on a mérité la gloire ou l’oubli.

Il est curieux de parcourir les articles de peinture qui furent écrits de 1800 à 1820 dans les divers journaux et recueils du temps ; l’école du bas relief était alors à son apogée. David trônait ; c’était le Napoléon de la peinture ; Gérard, Guérin, Gros, Girodet, Lethière, étaient les grands officiers de sa couronne, ses maréchaux ; Vincent, Meynier, Menjaud, Thévenin, Landon, Robert Lefèvre, Picot et autres, ses généraux et ses officiers subalternes. Le reste de l’école s’organisait militairement ; chaque nouvelle recrue était enrégimentée et prenait son rang de taille. S’il y avait quelques idéologues, quelques novateurs, quelques mécontens dans l’empire des beaux-arts, car Napoléon-David avait, lui aussi, absorbé la république, ils se taisaient, et pas un journal n’eût ouvert ses colonnes à ces raisonneurs. Il faut voir com-